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guste n’aurait encore enfermé que 267,000 habitans. Il faudrait doubler ce chiffre pour l’enceinte d’Aurélien, qui est encore celle de nos jours, moins la portion située au-delà du Tibre et ajoutée par les papes. Quant à la population des faubourgs, ou plutôt de la banlieue, qu’on pourrait à la rigueur joindre à celle de la ville, il n’est pas possible de l’évaluer à plus de 120,000 têtes. Ainsi, Rome, dans sa plus grande extension, et en y comprenant le suburbium, n’a pas dû compter plus de 650,000 individus de toutes classes, et peut-être en a-t-elle possédé beaucoup moins.

La monstrueuse erreur qui entassait des millions de Romains sur une superficie moitié moins grande que celle de Paris, a été accréditée par la fausse interprétation d’un passage de Publius Victor. Cet écrivain, qui a laissé une description de Rome au ive siècle de notre ère, un siècle environ après les innovations d’Aurélien, dit qu’alors on comptait 1830 palais (domus) et 45,795 insulæ. Mais les critiques modernes ne remarquèrent pas que ce mot avait pris diverses acceptions. Dans l’origine, par une métaphore très naturelle, on donnait le nom d’îles à ces massifs ou pâtés de maisons isolés de tous côtés par les rues. Ces groupes réservés aux plébéiens étaient, comme chez nous, bordés de boutiques ; l’usage, toujours capricieux, fit passer à la partie le nom du tout. Plus tard, les patriciens, pour augmenter leurs revenus, ne dédaignèrent pas de faire construire des bazars pour les marchands, ou même de pratiquer sur la face de leurs demeures de petits logemens dont les locataires conservaient le surnom d’insulaires. Le plan des anciens édifices, ou de nombreux exemples puisés dans le droit de cette époque, prouvent jusqu’à l’évidence que le mot insulæ a très souvent la signification de boutique, et qu’il ne peut avoir d’autre sens dans le fameux passage de Publius Victor. Par cette interprétation, tout s’explique. Au lieu de ces groupes de maisons où l’on entassait des familles, nous avons des cellules qui pouvaient, à la rigueur, ne contenir qu’un locataire ; et la population de Rome ancienne, évaluée d’après ces bases, se trouve en rapport parfait avec la topographie de la ville, avec les dénombremens et la consommation journalière des denrées, mentionnés dans les annales.

Ces données neuves et intéressantes reçoivent une confirmation historique des mémoires suivans de M. Bureau de la Malle. Une foule de témoignages établissent que la population italique était très faible sous la domination dévorante des Romains, et qu’elle n’a pas cessé de s’amoindrir depuis le temps des Gracques, ou, si l’on veut, depuis le triomphe de l’oligarchie jusqu’à celui de la démocratie représentée par les empereurs. On manque de renseignemens sur la race esclave ; elle était renouvelée sans cesse par les recrutemens en pays étrangers. Quant à la population