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senti, avec raison, qu’il y avait une lacune immense dans nos études sur le moyen-âge, que pour connaître la vie des peuples de cette époque, il ne suffisait pas d’étudier les faits matériels de leur histoire, qu’il fallait encore s’occuper de leurs idées, de leurs croyances, même lorsqu’elles avaient pour objet des superstitions ou des fables. Dans un grand ouvrage qu’il prépare sous le titre de Livre des Légendes, et dont il vient de publier l’introduction, il s’est proposé de faire connaître toutes les traditions romanesques ou religieuses que le moyen-âge a inventées ou chargées de ses couleurs. L’auteur indique d’abord les sources et les causes de toutes les légendes qui vont l’occuper. Au premier rang, il place la destruction des bonnes études, qui, formant, pour ainsi dire, table rase dans les esprits, les prépara merveilleusement à toutes les croyances populaires. Aussi, le nombre des fables que le moyen-âge semble avoir inventées est prodigieux ; mais nous ne devons pas oublier que l’esprit dominant de cette époque fut de modeler sur elle-même les idées et les faits qu’elle acceptait, et de donner ainsi son costume et ses mœurs à des récits d’une origine plus ancienne. M. de Lincy s’occupe d’abord des légendes sacrées, tirées, en grande partie, des livres apocryphes, et des actes de vies de saints. Viennent ensuite les légendes relatives aux hommes célèbres de l’histoire ancienne et moderne ; il n’en est peut-être pas un seul dont les véritables actions ne soient défigurées par des inventions grossières. M. Leroux de Lincy donne pour exemple les croyances accréditées au moyen-âge sur Homère, Alexandre et Mahomet. S’attachant surtout aux traditions qui obscurcissent les premiers temps de l’histoire de France, il en montre la source dans nos anciens poèmes en langue vulgaire, et nous pouvons juger de leur nombre, de leur étendue, d’après ceux qu’on a consacrés aux exploits souvent imaginaires de Charlemagne et de ses paladins, et qui forment un ensemble de plusieurs centaines de milliers de vers.

Nous ne suivrons pas l’auteur dans les détails qu’il donne sur les légendes relatives aux villes, aux forêts, aux montagnes, aux eaux, aux pierres précieuses, aux animaux. Nous croyons qu’il a eu tort de confondre avec les légendes toutes les opinions populaires relatives à ces divers objets. Elles se retrouvent, il est vrai, dans la plupart des récits fabuleux ; mais elles ne sont proprement la matière d’aucun de ces récits. Un chapitre sur le monde merveilleux, les nains, les géans, les fées, les loups-garous, termine heureusement ce livre qui se fait remarquer autant par la clarté élégante du style que par des aperçus ingénieux, et une érudition presque toujours sûre.

Passons des compositions historiques aux documens inédits. La Revue a déjà consacré un article à la publication des pièces diplomatiques sur la