Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/718

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
714
REVUE DES DEUX MONDES.

les gloires naïves et solitaires, et la terre d’Albert Dürer et de Holbein devait aussi donner au monde la famille Bach et Beethoven. En effet, c’est là surtout qu’on trouve ces hommes de conscience et de foi qui passent leur vie en face d’une toile ou d’un clavier, ames pures et tendres qui, dans leurs naïves spéculations, cherchent à réaliser leur idéal par une tête de saint ou par une religieuse mélodie ; artistes dévoués au travail qui, dans leurs momens de loisir, sortent de l’atelier pour rentrer dans la famille, et se gardent bien d’éparpiller leur existence dans les pays étrangers et d’aller y chercher des discussions et des théories nouvelles, persuadés qu’ils sont qu’entre l’œuvre et l’artiste, une seule chose peut s’interposer : la foi ; et cette foi, où la trouveraient-ils sur la terre, si ce n’est dans le fond de leur ame ?

Les membres de la famille Bach conservèrent toujours les uns pour les autres un tendre attachement ; comme ils ne pouvaient habiter tous ensemble et voulaient cependant entretenir leur franche et loyale amitié, ils fondèrent la coutume de se réunir une fois l’an en un lieu désigné. Lorsque, dans la suite, la famille, devenue plus nombreuse, se fut dispersée hors de la Thuringe, dans la Haute-Saxe, en France, en Italie, cette fête annuelle n’en subsista pas moins. Le lieu du rendez-vous était ordinairement Erfurt, Eisenach ou Arnstadt ; selon l’habitude d’alors de sanctifier toutes choses par les pratiques religieuses, sitôt après les premiers embrassemens, ils entonnaient un chœur. C’était d’abord un chant large et sévère, une action de grâces envers Dieu qui leur permettait de se revoir heureux et bien portans ; ensuite la musique devenait triste et lente, et tous s’agenouillaient priant pour leurs vieux parens morts. Enfin, on se levait, et le chœur finissait par un hymne où les pères appelaient toutes les bénédictions du ciel sur la tête de leurs enfans. Nul étranger n’était admis à contempler cette première effusion d’amour, et les gens de l’auberge qui, attirés par le bruit, venaient écouter à la porte, ne pouvaient entendre sans émotion ce concert harmonieux de tant de voix de la même famille ; car, de même que les Bach se ressemblaient par la vigueur du corps et les signes du visage, ainsi leurs voix, sans être tout-à-fait pareilles, avaient entre elles des rapports faciles à reconnaître et dont on était frappé, surtout en entendant la voix aiguë et frêle de l’enfant monter autour de celle de son père qui la soutenait dans l’harmonie, comme le passe-