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« Là-dessus le brave homme se mit à me raconter une foule d’histoires de magiciens et de sorciers, tendant toutes à me prouver qu’il venait d’être la victime d’un infernal maléfice. Il se posait cet effrayant syllogisme : Un instrument n’a de sonorité que parce qu’il reçoit une action du souffle ou de la main. Or, le bedeau n’a vu entrer personne, et pourtant l’orgue chante. Donc le diable s’en est mêlé, et nous a pris nos voix pour animer tous ces tuyaux. Et puis, il me disait qu’il avait clairement reconnu la sienne, et que même elle avait fait sonner l’ut dièze dans un ensemble, note qu’il n’avait jamais pu obtenir d’elle du temps qu’elle habitait dans sa poitrine ; il comparait la capricieuse, qui se parait ainsi pour le tourmenter, à ces femmes qui redoublent de grace et de coquetterie, quand elles savent que leur ancien amant est là qui les regarde ; comparaison assez profane, et qui m’étonna beaucoup dans la bouche d’un chantre de cet âge. »

Cependant la messe était finie, et tandis que les étrangers priaient encore, tous les gens de la ville se rassemblaient au pied de l’escalier qui conduisait à l’orgue, attendant avec impatience le dénouement du grand mystère. Enfin, long-temps après que les derniers sons de l’orgue se furent exhalés, la porte s’ouvrit, un jeune homme en sortit, tenant un cahier de musique sous le bras ; il avait de longs cheveux blonds qui tombaient sans ordre sur son cou ; sa figure était maigre et pâle, mais belle, et par son expression de sereine tristesse rappelait le type que la tradition nous a conservé de la tête du Christ. Lorsqu’il arriva au bas de l’escalier, toute cette multitude fut prise de terreur et s’entr’ouvrit sur son passage ; lui, sans trop prendre garde à ce qui l’entourait, traversa la foule, et serait sorti de l’église sans rien dire à personne s’il n’eût reconnu auprès du bénitier la face pleine et réjouie de maître Martin Wiprecht. « Monsieur, lui dit le jeune organiste, c’est vous qui m’avez, il y a trois mois, demandé mon opinion sur un motet en ut mineur ; j’ai cru ne pouvoir mieux vous répondre qu’en vous l’exécutant tout-à-fait dans le style du grand artiste qui l’a composé. Peut-être avez-vous trouvé que je pressais un peu le mouvement dans les dernières mesures, mais Dieterisch le veut ainsi. Reprenez ce motet, j’espère que vous ne me tiendrez pas rancune, car si je l’ai gardé si long-temps, c’était afin de vous le rendre annoté de la main du grand maître ; et pour un amateur comme vous, c’est