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JEAN-SÉBASTIEN.

un bonheur qui ne peut être payé trop cher que de posséder un tel trésor dans sa bibliothèque. »

Jean-Sébastien dut se souvenir toute sa vie de la fête de Pâques, car le jour de la résurrection du Sauveur fut aussi celui où son génie apparut à l’Allemagne dans toute sa gloire. Dès ce moment le jeune artiste existait pour le monde, et les villes libres et les princes allaient se le disputer. À peine deux mois s’étaient écoulés, qu’il recevait déjà de toutes parts des brevets d’organiste ; car ceux qui l’avaient entendu à Arnstadt faisaient sonner si haut son talent et son génie, que toutes les églises étaient en émotion et désiraient savoir quel était ce soleil dont les premiers rayons jetaient une si lointaine splendeur.

En 1707, la place d’organiste en l’église de Saint-Blasius, à Mulhausen, lui fut offerte ; il l’accepta. Les habitans d’Arnstadt, désespérés de le voir s’éloigner, vinrent lui proposer de doubler ses appointemens, s’il voulait consentir à rester parmi eux. Sébastien leur répondit qu’il avait des goûts trop simples pour que l’argent pût jamais influer sur ses résolutions, et qu’il sentait trop encore le besoin de voyager et de s’instruire pour songer déjà sérieusement à s’établir dans une ville. — Mais je penserai toujours à celle qui m’a si bien accueilli dans mon obscurité, et me souviendrai d’elle toute ma vie comme d’une seconde mère. — Les adieux furent touchans de part et d’autre, et les habitans, voyant qu’il était inutile d’insister, se préparèrent à l’accompagner jusqu’aux portes.

Ce fut un beau jour pour l’artiste de vingt ans, que celui où tous les habitans d’Arnstadt vinrent se rassembler sur son passage et lui témoigner combien ils avaient d’admiration pour son talent et de sympathie pour sa personne. Dès le matin, la ville était en mouvement, et telle était la foule amassée en certaines rues, qu’un étranger, arrivé de la veille sans doute, fatigué de se mettre en sueur pour traverser les groupes, vint à demander quel était le saint qu’on fêtait ce jour-là. — Par Dieu ! lui répondit un homme du peuple, c’est saint Jean-Sébastien ; vous ne le connaissez peut-être pas, vous ! mais pour n’être pas dans le calendrier, il n’en tient pas moins sa place dans nos cœurs à côté du patron de la ville.

À moins de faire sonner les cloches et fumer l’encensoir, je ne sais quels honneurs plus grands on aurait pu lui rendre. Les notables se tenaient à ses côtés ; le peuple se pressait vers lui comme s’il se fût