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Et tout en attendant, debout, la ritournelle,
Fredonnais à loisir l’air de quelque motif,
Pareille au bel oiseau qui chante et bat de l’aile,
Et sur les rameaux verts polit son bec lascif,
Avant de se lancer dans la plaine éternelle,
C’est prodige vraiment, qu’alors sur ton chemin
Tu n’ais jamais senti l’étreinte de sa main.

Tu peux bien, jeune femme, en ta vie ordinaire,
Ne l’avoir jamais vu ce redoutable amant ;
Mais si ta lèvre blême et froide comme pierre,
Par miracle s’ouvrait encor pour un moment,
Pourrais-tu soutenir ici, sans imposture,
Que tu n’as jamais vu flamboyer son regard,
Ni senti sur ta chair son affreuse morsure,
Ni tremblé devant lui, ni pâli sous ton fard
À ces heures d’ardeur et d’extase sonore,
Où ton ame, pareille au coursier de Lenore,
Aux champs de l’infini t’emportait au hasard ?

Au milieu des clameurs de l’orchestre qui tonne,
Tu l’as vu, l’œil en flamme et riant aux éclats,
Surgir à ton chevet, ô pâle Desdemone,
Et te tenir pâmée une heure entre ses bras.
À ton réveil, Juliette, en la mort assoupie,
Il se tenait debout penché sur le tombeau,
Pâle et vêtu de noir, beau comme Roméo,
Comme lui, plein d’amour et de mélancolie.
Anna, brûlante Anna, dans la fatale nuit,
Tu l’as vu t’apparaître aux lueurs de l’épée,
Quand de ton déshonneur encor tout occupée,
Tu laissais là ton père accouru vers le bruit.
Combien de fois, durant ces ardentes soirées,
Au milieu du chaos des notes éplorées,