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DE LA PRÉSIDENCE AMÉRICAINE.

ce qui l’approche. Jamais la foule n’est irrévérencieuse avec lui. Mais avec de pareilles allures, il rend le métier bien rude pour son successeur. Ce ne sera pas M. Van Buren qui pourra, sous la galerie d’une auberge de village, distribuer des poignées de main aux palefreniers, politiquer, rire et gesticuler avec eux. C’est une sorte de popularité qui n’est pas à la portée de tout le monde, même à celle des hommes les plus habiles et les plus fins.

J’ai déjà dit qu’autrefois dans l’Union, l’on ne se montrait jamais idolâtre des hommes. L’amour de la loi ne peut entraîner à aucun excès, l’amour d’un homme peut précipiter des êtres faibles dans les plus funestes écarts. Certes, rien n’est plus légitime que les hommages rendus aux grands hommes : l’antiquité leur élevait des autels, mais l’antiquité n’avait pas inventé le self-government. Dans les républiques, les grands hommes sont dangereux, et si on leur prépare une place, il est rare qu’elle ne soit pas envahie par des sycophantes qui flagornent le peuple. Pour un Périclès, on est exposé à avoir dix Cléon. Si l’on eût qualifié les soldats de l’Indépendance d’hommes de Washington, ils eussent répondu avec indignation qu’ils n’étaient les gens de personne, qu’ils étaient les hommes de leur pays. Aujourd’hui il y a des jackson-men et un jackson-party. On dit soi-même qu’on est un jackson-man, un jackson-man quand même (thorough jackson-man) ; personne n’est choqué de ces expressions. On a épuisé, avec le général Jackson, toutes les formules de l’adulation asiatique : Il est le plus grand et le meilleur des hommes (the greatest and the best), le héros des deux guerres, le plus grand capitaine des temps, passés, présens et même futurs, le rocher des siècles des saintes Écritures. M. Van Buren a écrit telle lettre où il dit que ce sera toujours pour lui assez de gloire que d’avoir servi sous les auspices d’un tel chef. La démocratie, voyant des hommes renommés par leur intelligence se prosterner ainsi devant le général, a enchéri sur eux. Il n’y a pas de limite à l’influence du général sur la masse démocratique ; pour elle, il est infaillible. On lui croit le don des miracles, tout comme en Europe au prince de Hohenlohe. Vous rencontrerez tel farmer de force à soutenir que c’est le général qui a payé la dette publique de sa poche, par quelque opération analogue à celle des pains et des poissons. Après l’empereur de Russie, le général Jackson est le souverain qui possède le plus de pouvoir sur son peuple. Je dis son peuple, car