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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/164

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d’humeur joviale, franc dans son langage, grand conteur des temps passés, universellement aimé de ses voisins, et fort populaire dans l’Ouest. Dès 1793, il servait son pays et faisait la guerre aux Indiens. En 1794, il était aide-de-camp du général Wayne à la bataille décisive des Bois-Abattus (Fallen Timbbers). Plus tard, il fut délégué au congrès par le territoire d’Ohio, puis gouverneur du territoire d’Indiana. En 1812, il commandait l’armée américaine du Nord-Ouest. Il eut alors la gloire de réparer les défaites du général Hull, de battre l’ennemi partout et de porter la guerre sur le sol des provinces britanniques. À la fin de la guerre, il redevint, de général en chef, simple particulier, et se mit à cultiver sa ferme du North-Bend, près de Cincinnati (Ohio), pour élever sa famille. En 1816, il fut élu membre de la chambre des représentans ; plus tard, il fut sénateur pour l’état d’Ohio. M. Adams le nomma ministre en Colombie ; mais le général Jackson, élu président sur ces entrefaites, le révoqua immédiatement. Le général Harrison revint donc à sa ferme, jusqu’à ce qu’en 1834, ses amis le nommèrent greffier de la cour des plaids communs (tribunal de première instance), à Cincinnati, place d’un bon rapport, en attendant la présidence. La vie de ce brave soldat offre un exemple curieux des vicissitudes de la fortune en Amérique ; de général en chef couronné par la victoire, on le voit devenir laboureur, engraissant des porcs pour les fabricans de salaisons de Cincinnati, et distillant du whiskey ; de laboureur, sénateur et ambassadeur ; d’ambassadeur, paysan une troisième fois ; de là greffier d’un petit tribunal ; puis candidat à la suprême magistrature d’un grand peuple, fêté par les populations, héros des banquets, faisant des promenades triomphales au bruit du canon que l’on tire sur son passage, et assuré d’obtenir aujourd’hui cinq cent mille libres suffrages[1]. Il est vrai que Van Buren réunira probablement un million de votes ; mais ce dernier n’est pas l’objet de l’enthousiasme populaire qui éclate sur les pas de son rival dans les jeunes états de l’Ouest. M. Van Buren a la peau blanche. Sa main doit être mal à l’aise quand elle est serrée par une main calleuse ; il évite autant que possible les hommages démocratiques ; il se soustrait aux banquets et aux farandoles. Et

  1. Dans un état de 1,500,000 ames, comme la Pensylvanie, il y a un peu plus de 200,000 votes ; 500,000 suffrages représentent une population d’environ 4,500,000.