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Une fois unie à l’homme qu’elle n’avait pas choisi, mais qu’elle a bien voulu accepter, Marie subira-t-elle la conséquence de son imprudent sacrifice ? aura-t-elle à lutter entre celui qu’elle aime et celui dont elle porte le nom ? Si elle se conduisait logiquement, elle ferait comprendre à son amant qu’elle doit renoncer à le voir ; elle chercherait la paix dans l’absence ; et si, par cette résolution courageuse, elle n’abolissait pas le danger, du moins elle rendrait plus rares les occasions de faillir ; si elle succombait, elle n’aurait pas à se reprocher d’avoir volontairement multiplié les épreuves. Pour éloigner son amant, elle n’aurait qu’un mot à dire ; elle pourrait exiger l’absence comme un témoignage d’affection, ou révéler le passé à son mari, et, certes, il est au moins singulier qu’elle ne prenne aucun de ces deux partis. Il est vrai que Marie, dans la pièce de Mme Ancelot, boude son amant à tout propos et force son mari à le prendre sous sa protection. Mais cette bouderie ne signifie rien, puisque Marie n’explique pas à M. Forestier les motifs de sa conduite. Le danger se perpétue et grandit de jour en jour. L’amant trouve dans l’ennui du ménage un auxiliaire puissant, et s’il ne séduit pas la femme de son ami, c’est qu’il ne veut pas profiter de l’occasion ; car il est établi dans la maison sur un pied de familiarité qui lui permet de tout oser. Il connaît toutes les habitudes et tous les ridicules du mari ; il sait à quelle heure il pourra se trouver seul avec la femme qu’il aime : ou il a pour elle un respect qui va jusqu’à l’adoration, ou bien son amour n’est qu’une simple occupation, et il prolonge à plaisir une lutte qui n’a pour lui rien de fatigant. Cette seconde partie de la destinée de Marie n’est ni plus animée, ni plus intéressante que la première, et cependant l’auteur aurait dû la traiter avec un soin plus sérieux ; car, l’exposition une fois faite, le spectateur devient plus exigeant.

Devenue veuve, Marie peut librement disposer de sa main. Soit habileté, soit bonheur, elle a enchaîné la fidélité de son amant ; elle le croit, du moins ; elle se flatte d’être chérie comme au premier jour. Dix-sept ans se sont écoulés, et pourtant elle est pleine d’espérance et de sécurité. Elle ne consulte pas même son miroir pour s’assurer que ses yeux sauront encore exprimer la tendresse, Elle aime, donc elle est aimée. Sa clairvoyance ne va pas au-delà. Mais elle a dans sa fille une rivale terrible. Cécile a passé