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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

Le major arrive. Il a la figure de Méphistophélès et la capote d’un douanier. Il me regarde des pieds à la tête, et me demande qui je suis.

— Un voyageur mal mis, comme vous voyez, qui se recommande d’Arabella.

— Ah ! ah ! je cours chercher un passeport.

— Cet homme est-il fou ?

— Non pas, demain nous partons pour le Mont-Blanc.

Nous voici à Chamounix, la pluie tombe, et la nuit s’épaissit. Je descends au hasard à l’Union, que les gens du pays prononcent Oignon, et, cette fois, je me garde bien de demander l’artiste européen par son nom. Je me conforme aux notions du peuple éclairé que j’ai l’honneur de visiter, et je fais une description sommaire du personnage. Blouse étriquée, chevelure longue et désordonnée, chapeau d’écorce défoncé, cravate roulée en corde, momentanément boiteux, et fredonnant habituellement le Dies iræ d’un air agréable.

— Certainement, monsieur, répond l’aubergiste, ils viennent d’arriver, la dame est bien fatiguée, et la jeune fille est de bonne humeur. Montez l’escalier ; ils sont au no 13.

— Ce n’est pas cela, pensai-je, mais n’importe, je me précipite dans le no 13, déterminé à me jeter au cou du premier Anglais spleenétique qui me tombera sous la main. J’étais crotté de manière à ce que ce fût là une charmante plaisanterie de commis-voyageur.

Le premier objet qui s’embarrasse dans mes jambes, c’est ce que l’aubergiste appelle la jeune fille. C’est Puzzi à califourchon sur le sac de nuit, et si changé, si grandi, la tête chargée de si longs cheveux bruns, la taille prise dans une blouse si féminine, que, ma foi, je m’y perds, et, ne reconnaissant plus le petit Hermann, je lui ôte mon chapeau en lui disant : Beau page, enseigne-moi où est Lara ?

Du fond d’une capote anglaise sort, à ce mot, la tête blonde d’Arabella ; tandis que je m’élance vers elle, Franz me saute au cou, Puzzi fait un cri de surprise ; nous formons un groupe inextricable d’embrassemens, tandis que la fille d’auberge, stupéfaite de voir un drôle si crotté, et que jusque-là elle avait pris pour un jockey, embrasser une aussi belle dame qu’Arabella, laisse tomber