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dernière : comme le dolce far niente, il est fils du même sentiment et de la même idée, mais l’exécution nous en paraît plus forte. Que M. Winterhalter travaille et nous fasse voir encore combien l’Italie est douce parfois à travers le sentiment d’un homme du Nord.

En dépit de sa souplesse et de la grace souvent coquette de son sentiment, M. Lehmann appartient à M. Ingres, et la main du maître est imprimée sur son dessin et sa couleur. Pour peu que l’on doute de notre proposition, il suffit de regarder ses deux tableaux : le Pêcheur de la ballade de Goethe, et le Mariage du jeune Tobie. Le premier tableau nous semble lourd de forme, maniéré de pose et terne de couleur ; il ne rappelle pas, suivant nous, l’exquise simplicité et la pureté de style de la ballade allemande. Le second nous plaît davantage. Bien que l’on n’y trouve pas une grande composition, que les personnages soient tous placés sur la même ligne, que les têtes soient dessinées non sans quelque affectation, il y a de la grace dans cette idylle biblique. Le jeune Tobie est charmant, la jeune fille le serait peut-être autant si elle cherchait moins à l’être. La couleur est celle de l’école de M. Ingres, terne et la même dans toutes les parties du corps.

Assurément l’on ne reconnaît pas dans M. Bendemann une organisation vénitienne, un tempérament profondément coloriste ; pourtant l’on sent qu’il fait des efforts pour arriver à l’expression vraie de la couleur. Le Jérémie sur les ruines de Jérusalem est une belle composition, combinée suivant l’antique symétrie des écoles italiennes : le prophète au milieu, et le même nombre de personnages placés et groupés de chaque côté. Malgré cette composition en équerre, et la forme un peu dramatique des groupes, le sentiment de la Bible se développe assez largement dans cette peinture. On entend bien retentir sur toutes ces ruines fumantes, ces marbres épars et jonchés de morts, la voix plaintive et lamentable du colossal pleureur. La désolation est empreinte sur toutes les figures et dans toutes les poses ; cette mère qui voile son front en l’appuyant sur ses genoux, cette mère dans la douleur et dont l’enfant mort est étendu près d’elle, nous paraît conçue dans un beau sentiment tragique ; il y a de la grandeur dans les vêtemens du prophète, quelque chose des sibylles et des prophètes de la chapelle Sixtine ; il y a de la grace dans cet enfant qui soulève la tête de son frère défaillant et blessé. Enfin le dessin pur, et l’élé-