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DU GOUVERNEMENT PARLEMENTAIRE.

n’y aurait pas une seule humanité ; il y en aurait deux. Le genre humain ressemble à ces héros des trilogies de Shakspeare, de Schiller et de Gœthe ; à ces héros dont nous commençons par voir la jeunesse, et que nous retrouvons plus tard, à un autre âge, au milieu d’autres aventures. La scène a changé, mais le héros persiste. C’est le mérite du gouvernement représentatif d’être la reconnaissance expresse et réfléchie de la nécessité de transformer le passé sans l’immoler violemment.

Il importe à l’Europe que le gouvernement parlementaire s’affermisse en France, afin que la preuve soit donnée aux nations dont la civilisation politique est moins développée que la nôtre, qu’il est possible de s’arranger avec le passé et de le rendre docile. Au reste, les rois sont plus intéressés que les peuples à cette démonstration. Si le gouvernement parlementaire succombait en France, sa chute ébranlerait l’Europe.

Nous ne croyons pas à la mort du monde, et nous avons souvent dit que les sociétés modernes étaient assez vivaces pour résister à toutes les épreuves ; mais nous estimons aussi qu’il appartient à la science politique d’appliquer ses efforts à éluder les catastrophes, surtout le lendemain de grandes catastrophes. Même à ne prendre les affaires humaines qu’au point de vue du succès, les dénouemens tragiques sont stériles, quand ils sont l’œuvre de la précipitation ou de l’impatience. La première justification et la plus grande force d’une révolution est d’avoir été tellement nécessaire, que personne ne puisse en revendiquer l’initiative et le dessein.

Si le gouvernement parlementaire ne pouvait prévaloir, nous tomberions dans les extrêmes du despotisme militaire ou de l’anarchie démagogique. Sans doute, si tristes que soient ces convulsions, la France n’y périrait pas ; mais pourquoi nous sont données l’intelligence et la volonté, si ce n’est pour conjurer les maux prévus ? Faut-il rester immobile devant l’inconnu, comme le Musulman devant la peste ? Eh ! il faudrait agir même avec la certitude d’échouer. Que sera-ce si l’on peut concevoir l’espoir raisonnable de surmonter des difficultés que la nature des choses n’a pas encore déclarées invincibles ? La France sait qu’après les phases diverses qu’elle a traversées, elle n’a rien à gagner dans l’imitation de choses faites et connues ; elle sait qu’après Robespierre et Napoléon elle ne saurait entrer plus avant dans le sang et dans la