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LES TEMPLIERS.

Le procès du Temple avait commencé à grand bruit, malgré la désertion du grand-maître. Le 28 mars 1310, les commissaires se firent amener dans le jardin de l’évêché les chevaliers qui déclaraient vouloir défendre l’ordre ; la salle n’eût pu les contenir. Ils étaient cinq cent quarante-six. On leur lut en latin les articles de l’accusation. On voulait ensuite les leur lire en français ; mais ils s’écrièrent que c’était bien assez de les avoir entendues en latin, qu’ils ne se souciaient pas que l’on traduisît de telles turpitudes en langue vulgaire[1]. Comme ils étaient si nombreux, pour éviter le tumulte, on leur dit de déléguer des procureurs, de nommer quelques-uns d’entre eux qui parleraient pour les autres. Ils auraient voulu parler tous, tant ils avaient repris courage. « Nous aurions bien dû aussi, s’écrièrent-ils, n’être torturés que par procureurs[2]. » Ils déléguèrent pourtant deux d’entre eux, un chevalier, frère Raynaud de Pruin, et un prêtre, frère Pierre de Boulogne, procureur de l’ordre près la cour pontificale. Quelques autres leur furent adjoints.

Les commissaires firent ensuite recueillir, par toutes les maisons de Paris qui servaient de prison aux templiers[3], les dépositions de ceux qui voudraient défendre l’ordre. Ce fut un jour affreux qui pénétra dans les prisons de Philippe-le-Bel. Il en sortit d’étranges voix, les unes fières et rudes ; d’autres pieuses, exaltées ; plusieurs naïvement douloureuses. Un des chevaliers dit seulement : Je ne puis pas plaider à moi seul contre le pape et le roi de France[4]. Quelques-uns remettent pour toute déposition une prière à la sainte Vierge : « Marie, étoile des mers, conduis-nous au port du salut…[5]. » Mais la pièce la plus curieuse est une pro-

  1. Quòd contenti erant de lectura facta in latino, et quòd non curabant quòd tantæ turpitudines quas asserebant omninò esse falsas et non nominandas vulgariter, exponerentur. (Proc. contrà Templ. ms.)
  2. Dicentes quòd non petebatur ab eis, quandò ponebantur in jainis, si procuratores constituere volebant. (Ibid.)
  3. Les uns étaient gardés au Temple, les autres à Saint-Martin-des-Champs, d’autres à l’hôtel du comte de Savoie et dans diverses maisons particulières. (Ibid.)
  4. Respondit quòd nolebat litigare cum dominis papâ et rege Franciæ. (Process. ms., 11 verso.)
  5. Le frère Elie, auteur de cette pièce touchante, finit par prier les notaires de corriger les locutions vicieuses qui peuvent s’être glissées dans son latin. (Process. ms., folio 31-32.) — D’autres écrivent une apologie en langue romane, altérée et fort mêlée de français du nord. (Folio 36-8.)