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testation en langue vulgaire, où, après avoir soutenu l’innocence de l’ordre, les chevaliers nous font connaître leur humiliante misère, le triste calcul de leurs dépenses[1]. Étranges détails et qui font un cruel contraste avec la fierté et la richesse tant célébrées de cet ordre !… Les malheureux, sur leur pauvre paie de douze deniers par jour, étaient obligés de payer le passage de l’eau pour aller subir leurs interrogatoires dans la Cité, et de donner encore de l’argent à l’homme qui ouvrait ou rivait leurs chaînes.

Enfin, les défenseurs présentèrent un acte solennel au nom de l’ordre. Dans cette protestation, singulièrement forte et hardie, ils déclarent ne pouvoir se défendre sans le grand-maître, ni autrement que devant le concile général. Ils soutiennent : « Que la religion du Temple est sainte, pure et immaculée devant Dieu et son Père. L’institution régulière, l’observance salutaire, y ont toujours été, y sont encore en vigueur. Tous les frères n’ont qu’une profession de foi qui dans tout l’univers a été, est toujours observée de tous, depuis la fondation jusqu’au jour présent. Et qui dit ou croit autrement, erre totalement, pèche mortellement. » C’était une affirmation bien hardie, de soutenir que tous étaient restés fidèles aux règles de la fondation primitive ; qu’il n’y avait eu nulle déviation, nulle corruption. Lorsque le juste pèche sept fois par jour, cet ordre superbe se trouvait pur et sans péché. Un tel orgueil faisait frémir.

Ils ne s’en tenaient pas là. Ils demandaient que les frères apos-

  1. Je donne cette pièce, telle qu’elle a été transcrite par les notaires, dans son orthographe barbare. « A homes honorables et sages, erdenés de per notre père l’Apostelle (le pape) pour le fet des Templiers li freres, liquies sunt en prisson à Paris en la masson de Tiron… Honeur et reverencie. Comes votre comandemans feut à nos ce jeudi prochainement passé et nos feut demandé se nos volens defendre la religion deu Temple desusdite, tuit disrent oil, et disons que ele est bone et leal, et en tout sans mauvesté et traison tout ceque nos l’en met sus, et somes prest de nous défendre chacun pour soy ou tous ensemble, an telle manière que droit et sante Eglies et vos an regardarons, come cil qui sunt en prisson an nois frères à cople ii. Et somes en neire fosse oscure toutes les nuits. — Item nos vos fessons à savir que les gages de xii deniers que nos avons ne nos soufficent mie. Car nos convient paier nos lis. iii denier par jour chascun lis. Loage du cuisine, napes, touales pour tenelles et autres choses, ii sols viii denier la semaisne. Item pour nos fergier et desferger (ôter les fers), puisque nos somes devant les auditors, ii sol. Item pour laver dras et robes, linges, chacun xv jours xviii denier. Item pour buche et candole chascun jor iiii deniers. Item passer et repasser les dis frères, xvi deniers de asiles de Notre Dame de l’altre part de l’iau. » (Process, ms., folio 39.)