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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/472

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moyen d’un mouvement progressif, jamais interrompu, se manifeste sous telle ou telle forme de l’existence réelle (tome ii, p. 135). » Nous avons exprimé la pensée fondamentale de chacune des sections de l’école ; nous nous abstiendrons de suivre le transcendentalisme dans tous ses développemens, car il pourrait arriver, bien malgré nous, que nous appelassions sur lui le ridicule. Étrangers à toute pensée de prosélytisme, nous ne voulons point sortir des bornes de la critique littéraire, et encore moins, blesser les personnes qui se sont vouées chez nous au culte des idoles allemandes.

Nous ne pouvons cependant garder le silence sur un fait qui nous a frappés. Tous les novateurs en philosophie reprochent à leurs devanciers d’imposer des croyances, sans prendre la peine d’en établir rationnellement la certitude. Les rêveurs allemands se sont fait de cette accusation, une arme contre le dogmatisme chrétien. Mais eux-mêmes ne proposent-ils pas souvent des formules qu’ils avouent indémontrables, un inconditionnel qui échappe à tous nos moyens de connaître, et qui nous sont présentés comme articles de foi ? Pour eux, par exemple, le couronnement de toute construction philosophique, la loi du devoir repose sur une pure fiction. Cet instinct inné du juste et de l’injuste, qui fournit à chacun sa règle de conduite, ce sens moral qu’on ajoute aux cinq autres sens physiques, n’est-il pas nié formellement par toutes les autres doctrines ? N’est-il pas nié par l’expérience historique, qui nous montre que les idées sur le bien et le mal ont toujours varié selon les pays et les temps ? Mais, réplique-t-on (tome i, p. 281), si vous parvenez à vous défaire de vos préjugés d’éducation, vous discernez qu’au fond des coutumes les plus atroces réside une notion vague, un instinct caché de la justice : qu’ainsi le sauvage qui égorge les vieillards au lieu de les soutenir, le Chinois qui peut noyer son enfant nouveau-né (combien de traits pareils à citer !), pourraient aussi bien les abandonner, sans plus s’en inquiéter, à toutes les angoisses de la faim, de la maladie, de la misère. Avec de telles argumentations, il n’y a pas d’actes qu’on ne puisse légitimer.

Disons mieux. Si les panthéistes parlent souvent de liberté et de responsabilité morale, de droits et de devoirs, c’est une preuve de leur probité personnelle que nous ne songeons pas à mettre en doute ; mais c’est aussi, de leur part, une rare inconséquence. Dans leur système, l’individu n’est qu’une pièce de la machine universelle, et ne se meut qu’en raison de la part de divinité à laquelle il a droit ; son action, à ce titre, ne peut être que fatale, nécessaire, irrésistible. On n’a pas avoué ce fatalisme qui, par rapport à l’individu, serait trop évidemment absurde ; mais, par une absurdité aussi grande, quoique moins apparente, on applique cette loi aux évolutions historiques de l’idée, c’est-à-dire de l’élé-