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métier d’homme d’état ! Vauvenargues, en disant qu’il n’y a de véritable dignité morale qu’en ceux qui savent respecter celle des autres, a mieux apprécié que nous ne pourrions le faire le procédé que nous citons.

Les mêmes hommes disent encore : « La nécessité où l’on s’est cru d’attacher à un bienfait un reste de rigueur infamante, et de mettre sous la surveillance des hommes avec lesquels on prétend se réconcilier, cette nécessité prouve hautement contre l’opportunité de l’amnistie. » Quelle touchante sollicitude conçoivent tout d’un coup les doctrinaires pour les condamnés politiques de juin et d’avril ! Eh, quoi ! M. Guizot n’en serait pas seulement à regretter qu’on ne lui ait pas laissé faire l’amnistie ; il serait encore affligé de voir qu’elle n’est pas aussi complète qu’il l’eût donnée ! Voilà une révélation à laquelle nous ne nous attendions guère. « En rendant d’anciens ennemis à la vie commune, nous voudrions, nous, pouvoir les rendre aussi à la dignité de citoyen, » ajoute l’organe du parti doctrinaire que nous citons. En vérité, les détenus ont grandement perdu à la chute de M. Guizot, nous devons le leur dire, car sans doute ils ne s’en douteraient pas ; graciés par M. Guizot, ils seraient rendus à la dignité de citoyens, pourvus d’emplois publics, sans doute ; et il est aujourd’hui évident que M. Guizot et ses amis ne retardaient l’amnistie que pour la rendre plus complète ! Franchement, les doléances des écrivains de ce parti nous semblent moins sérieuses que bouffonnes, et nous rappellent le ton de racoleur dont ils promettaient, dans la dernière crise, aux partisans qu’ils voulaient enrôler, de hautes positions secondaires, où l’on apprendrait, avec de gros traitemens, le difficile métier d’homme d’état. Aujourd’hui, en lisant sur la porte de l’école doctrinaire cette promesse d’amnistie intégrale et complète, ayant pour complément l’élévation au titre de citoyen, et d’autres faveurs encore, ne se croirait-on pas devant ces enseignes de taverne où on lit toute l’année Ici on fera crédit demain ! — Mais dites plus vrai, ne pensez-vous pas que le défaut de surveillance faciliterait quelques désordres de la part des prisonniers délivrés, et justifierait vos objections contre l’amnistie ? N’est-ce pas le secret de votre prédilection pour les hommes que vous traitiez sans pitié tout à l’heure, et ne seriez-vous pas un peu tentés de faire d’eux des citoyens turbulens, au lieu de surveillés paisibles qu’ils seront, grace aux mesures que prend le gouvernement ? Le régime d’intimidation doctrinaire est mort, mais il pourrait renaître par le désordre et par l’émeute, et il est bien permis, ce nous semble, d’attribuer un petit calcul personnel à ceux qui distribuent sans scrupule aux autres le reproche d’immoralité !

On a dit aussi, mais avec un peu plus de sérieux et d’habileté, il est vrai : « Le pardon ne sied qu’à la force ; la clémence a besoin de courage,