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SITUATION DE L’ORIENT.

commun. Sans doute on se flattait, d’un côté, que le sultan ferait à son tour quelques concessions, de l’autre, que Mehemet-Ali, séduit par la perspective d’une légitimité plus complète, abandonnerait une partie de ses possessions, pour retenir sous un meilleur titre celles que lui reconnaîtrait une volonté souveraine plus libre dans son action. Mais quelles concessions pouvait offrir le sultan ? Ce n’était pas l’investiture de gouvernemens nouveaux ; son empire est déjà bien resserré. Ce n’était pas une diminution de tributs ; Mehemet-Ali les acquitte sans peine, et ces tributs constatent les droits de souveraineté que conserve la Porte. Le sultan ne pouvait donc offrir à Mehemet-Ali qu’une investiture plus sérieuse, et si nous pouvons nous exprimer ainsi, une investiture de bonne foi, au lieu de celle que lui avaient arrachée les armes victorieuses d’Ibrahim-Pacha ; ou bien encore, en faveur de ce dernier, la survivance des pachaliks de son père. C’était aussi le seul avantage qui pût flatter Mehemet-Ali, avantage purement moral et tout d’opinion. Mais si le pacha d’Égypte y était sensible, le sultan voudrait le lui faire acheter au prix d’une partie de ses conquêtes. Or, c’était un sacrifice auquel Mehemet-Ali ne consentirait pas. Il était en possession ; il était le plus fort ; il avait écrasé toutes les résistances ; il avait organisé, il commençait à exploiter le pays ; il y avait recruté une belle armée ; il en avait, à grands frais, fortifié les approches ; ce pays s’embellissait et prospérait sous sa main[1]. Renoncerait-il au fruit de ses travaux, à l’objet de tous ses vœux, pour un titre plus régulier peut-être, pour un diplôme de survivance qui n’en resterait pas moins contraire aux principes fondamentaux de l’empire, et qu’on ne se croirait plus obligé à respecter le jour où l’on serait assez fort pour l’anéantir ? Voilà ce qu’il fallait mûrement peser, avant de compromettre le maintien du statu quo par

  1. Les dernières correspondances de Syrie annoncent que l’administration égyptienne a changé entièrement la face de ces belles régions. Partout les plaines fertiles du nord de la province sont mises en culture ; on encourage la plantation des mûriers ; la valeur des exportations a triplé en deux ans ; on oublie les rigueurs nécessaires du premier établissement ; les incursions des Arabes ont cessé, et les populations reconnaissantes commencent à sentir les bienfaits d’un régime d’ordre, de justice et de protection égale pour tous. Mais ce sont surtout les chrétiens qui ont gagné au changement de domination. « Les chrétiens de Châm (c’est le nom arabe de la Syrie), nous disait dernièrement un Arabe natif d’Alep, sont libres et contens sous le gouvernement d’Ibrahim, et il aime beaucoup les Français. » On peut tout espérer du génie organisateur et de la puissante main qui ont régénéré l’Égypte et fait reculer le désert.