Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
HISTOIRE LITTÉRAIRE.

que. Le tumulte, la confusion sanglante de la scène anglaise est l’objet de fines et sévères critiques. Que diraient nos novateurs des jugemens que voici ?

La tragi-comédie, telle que l’a faite le théâtre anglais, est une des plus monstrueuses inventions qui ait jamais passé par la tête d’un poète. On pourrait aussi bien imaginer d’enchevêtrer dans un même poème les aventures d’Énée et celles d’Hudibras.

Et ailleurs :

Je serais charmé de nous voir imiter les Français, en bannissant de notre théâtre le bruit des tambours, des trompettes, des huzza, qui est parfois si grand, que, lorsqu’il y a bataille au théâtre de New-Market, on peut l’entendre à l’autre bout de la ville.

Addison et ses amis ne s’élèvent pas avec moins de force contre cette profusion de meurtres qui jonche la scène anglaise, tout cet attirail de mort qu’elle a dans ses magasins, et qui a passé dans ceux de notre théâtre. Il est curieux de les voir opposer Sophocle à Shakspeare ; et cet exemple prouvera du moins que tout n’est pas à faire dans la critique, et que l’ancienne régularité de notre théâtre s’appuyait sur une savante analyse du cœur humain.

Oreste, dit Addison, était dans la même situation où Shakspeare place Hamlet. Sa mère a tué son père, et s’est emparée du royaume, de complicité avec son amant. Le jeune prince, résolu de venger la mort de son père, s’introduit, par une ruse d’un grand effet, dans l’appartement de sa mère pour la tuer ; mais, comme un tel spectacle aurait été révoltant pour les spectateurs, cette terrible résolution est exécutée derrière la scène. On entend la mère qui demande pitié à son fils, et le fils qui lui répond qu’elle n’a pas eu de pitié pour son père ; puis, elle s’écrie qu’elle est blessée, et la suite du drame nous apprend qu’elle est morte. Je crois qu’il y a dans ce formidable dialogue entre la mère et le fils, derrière le théâtre, quelque chose d’infiniment plus expressif que ne pouvait l’être toute exécution matérielle sur la scène. Oreste, aussitôt après, rencontre l’usurpateur à la porte du palais ; et, par un art du poète, il évite aussi de le tuer devant les spectateurs, lui disant qu’il le laisse vivre encore quelques heures dans l’amertume de son âme, et lui ordonnant de se retirer dans la partie du palais où a péri Agamemnon, dont le meurtre doit être vengé sur le lieu même du crime.

Voilà donc, messieurs, la critique anglaise conduite, par l’étude, de l’antiquité, à l’adoption des règles et des bienséances de notre