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JOSEPH SPECKBAKER.

dans la citadelle de Hall. Là, tout en jasant et en se querellant avec ses nouveaux amis, il s’assure de la profondeur du fossé, des places qu’occupe chaque sentinelle, de la force des murailles et du nombre de leurs défenseurs. Quand il a su tout ce qu’il voulait savoir, il hausse le ton avec ses interlocuteurs ; de rieur il devient goguenard, de goguenard insolent, si bien, qu’à la longue, ceux-ci, furieux de son impertinence, le prennent au collet et le poussent rudement hors des portes.

Ce même jour, comme le soleil allait se coucher, Speckbaker rentra au logis, embrassa sa femme Marie et son fils Anderl, qui, plus tard, devait le rejoindre, prit sa carabine, attacha à la boucle d’argent de son chapeau la plume noire, insigne des chefs, et, se mettant à la tête de quelques amis résolus qui l’attendaient dans un bois voisin, il profita des premières ombres de la nuit pour se glisser, par des chemins détournés, jusque sous les murs du monastère de Volders, où les avant-postes bavarois s’étaient fortifiés.

Il fallait surprendre l’ennemi avant qu’il eût pu songer à se défendre ; autrement, le bruit d’un combat n’eût pas manqué de donner l’alarme dans Hall et aux environs, et peut-être d’appeler de nombreux défenseurs au secours du couvent. D’un autre côté, l’escalade était impossible. Speckbaker eut recours à un moyen auquel les Bavarois ne pouvaient être préparés. Il fait abattre dans la forêt voisine un arbre énorme, le fait grossièrement équarrir, et, quand la nuit est profonde, cinquante des montagnards les plus robustes, le chargeant sur leurs épaules, s’avancent sans bruit du côté du monastère. Les sentinelles bavaroises étaient placées à l’intérieur ; aussi les Tyroliens pouvaient déjà toucher les madriers de la porte, que leurs ennemis n’avaient encore rien aperçu. Les cinquante montagnards prennent donc leurs mesures à leur aise, et, se servant de l’arbre entier comme d’un bélier, au troisième coup ils ont enfoncé la porte. Ils pénètrent sur-le champ dans le monastère ; ils font main-basse sur ceux qui veulent résister, enferment le reste dans les caves ; puis, sans perdre de temps, maîtres du passage de l’Inn, ils s’avancent rapidement sur Hall, et se cachent dans un fourré, sur la rive gauche du fleuve, à peu de distance des portes de la ville, attendant le point du jour.

Vers minuit, quand tout était silence dans la ville, et que les compagnons de Speckbaker, blottis les uns contre les autres, commençaient à réfléchir sur la témérité de leur entreprise, et à se demander comment, étant si peu nombreux, ils pourraient se rendre maîtres d’une place garnie de bonnes murailles et défendue par une brave garnison, tout à coup une masse de flammes brille sur l’un des sommets du Patscher-Kofel qui domine la ville. À ce signal, des milliers d’étincelles pétillent sur toutes les montagnes de la rive droite de l’Inn, des feux brillent dans toutes les directions ; la main qui les allume semble courir d’un sommet à l’autre avec une rapidité qui tient du prodige. En moins d’une heure, tout le pays est en feu, et la flamme de ces innombrables incendies se réfléchit, d’une manière sinistre,