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mesures étaient si bien prises, qu’il s’arrêta juste à l’endroit qu’il avait choisi ; là se cramponnant avec les pieds et les mains, comme avec des tenailles d’acier, il resta collé à une saillie de la roche, tandis qu’à son tour son compagnon se laissait glisser au-dessous de lui. Les autres couples les imitèrent, et bientôt nos vingt chasseurs furent cramponnés à la paroi du rocher comme autant de mouches. Leurs mouvemens avaient été aperçus par les milliers d’oiseaux qui habitent les parois du Conachan, et des myriades de gannets, d’eider-ducks, de sea-fowls, en un mot, d’oiseaux de mer de toute espèce, volaient autour d’eux, les enveloppant par instant de leurs nuages épais, comme s’ils eussent voulu les aveugler et les étourdir ; mais nos chasseurs ne se laissaient ni intimider, ni distraire par ces bruyantes évolutions : ils saisissaient dans leurs nids, ou sur les aspérités du précipice, les jeunes oiseaux que leurs ailes trop faibles ne pouvaient encore soutenir, et dénichaient les œufs dont les trous étaient remplis.

Bientôt chacun d’eux eut autour du cou un large collier et autour de la taille une large ceinture de gannets, de sea-fowls et d’autres oiseaux sauvages, et, dans la poitrine, autant d’œufs que sa chemise pouvait en contenir. Alors ils employèrent, pour remonter, les mêmes manœuvres qui les avaient aidés à descendre, et ils vinrent fièrement déposer aux pieds de sir Thomas, qui applaudissait de la voix et du geste et qui faisait en leur honneur de copieuses libations de sherry et de porto, l’abondant produit de leur chasse.

Sans prendre un instant de repos, ils recommencèrent avec ardeur leur périlleuse exploration, visitant chaque corniche, chaque fissure du roc, dans toute sa hauteur. Tant d’activité nous faisait honte ; nous étions fatigués de rester inactifs. Nos yeux s’étaient habitués au précipice, aux mouvemens audacieux et à l’effrayant jeu de balancier de nos intrépides compagnons de chasse. Nous ne fûmes pourtant pas tentés de nous attacher au bout d’une courroie, comme ces braves insulaires nous le proposaient. Peut-être m’y serais-je décidé, si j’avais eu, à l’autre bout de la courroie, un des indigènes de Hirta ; mais sir Thomas ne m’inspirait pas assez de confiance, et, probablement, je ne lui en inspirais pas non plus assez pour que nous eussions la fantaisie de nous confier l’un ou l’autre à l’abîme. Nous nous bornâmes donc à prendre nos fusils de chasse, et descendant le long d’une corniche qui formait un angle droit avec la paroi du rocher le long duquel nos dénicheurs étaient suspendus, nous nous amusâmes, de ce point, à fusiller les gannets, tirant dans le plus épais du nuage et en abattant une douzaine à chaque coup. Les gannets, en tombant, roulaient le long du rocher auquel ils restaient souvent suspendus, et nous étions témoins des prouesses extraordinaires que faisaient nos compagnons pour aller les recueillir.

Du point où nous étions placés, ces hommes nous semblaient appliqués à la roche, le long de laquelle, n’apercevant pas les cordes qui les soutenaient, à cause de la distance, ils nous semblaient grimper, et, par instans, voler, comme autant de mouches. Ils accompagnaient leurs mouvemens d’un chant