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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

sourd et monotone qui ne ressemblait pas mal à un bourdonnement, et pouvait compléter l’illusion.

Leur audace, leur souplesse et leur dextérité étaient prodigieuses. Quelques momens leur suffisaient pour descendre et remonter le long de précipices de plus de six cents pieds de hauteur. Je les voyais quelquefois se lancer du haut d’un roc surplombant sur la mer et rester suspendus au bout de cette courroie que retenait la main seule de leur compagnon, avec la même sérénité que si cette courroie eût été fixée à un pieu de fer.

Cette manière de chasser est certainement la plus périlleuse que je connaisse ; il est presque sans exemple cependant qu’un accident arrive, tant leur adresse est grande, tant leurs bras sont sûrs et vigoureux, tant leurs courroies sont solides. Ces courroies, préparées comme je l’ai dit, passent d’une génération à l’autre et se transmettent dans les familles comme le plus précieux héritage. C’est un objet de luxe et d’utilité, le meuble qu’estime le plus l’habitant de Hirta. C’est toujours la courroie de chasse qui forme le premier article et le legs le plus important du testament d’un père. Une fille qui hérite de la courroie est regardée comme un des meilleurs partis de l’île, et de nombreux prétendans se disputent sa main. À la longue ces courroies devraient s’user, mais le sel les préserve pendant bien des années des atteintes du temps, et la peau de mouton qui les recouvre et qu’on renouvelle, quand elle commence à s’amincir et à s’user, protège le corps de la courroie contre les aspérités et les bords aigus du rocher. Il est sans exemple qu’une de ces courroies se soit brisée durant une chasse, et, si quelquefois un habitant de Hirta a fait, du haut du Conachan, une pirouette dans l’Océan, où il a trouvé un tombeau, ce n’est pas à sa courroie, c’est à sa maladresse ou à la méchanceté de son compagnon de chasse qu’il a dû s’en prendre. À la louange des bons habitans de Hirta, on ne se rappelle, dans leur île, qu’un seul accident causé par une malveillance avouée, et, hâtons-nous de le dire, l’homme qui s’en rendit coupable était étranger à Saint-Kilda. Sir Thomas et moi, nous étions fatigués de tuer des gannets ; nous remontâmes sur le haut durocher, et nous nous assîmes sur une belle pelouse bien verte, dans un endroit d’où nous pouvions suivre la chasse et embrasser d’un seul coup d’œil l’île entière et l’Océan qui l’entourait. Le ministre vint se placer à côté de nous, et voici ce qu’il nous raconta au sujet du meurtre dont j’ai parlé tout à l’heure :

Il y a environ quinze ans, vers le milieu de l’année 1821, au moment où l’été commençait à rendre plus épais les gazons qui couvrent nos rochers, et où le terrible vent d’ouest ne souffle plus qu’à de rares intervalles, un bâtiment, qu’à son apparence on pouvait prendre pour un bâtiment de commerce, s’arrêta, un soir, à un mille de l’île, et détacha une chaloupe montée par quelques hommes, qui se dirigea vers la baie. À cette vue, nos insulaires, selon leur habitude en pareille occasion, se renfermèrent dans leur village ou s’enfuirent dans leurs rochers, ne sachant s’ils allaient avoir affaire à des amis ou à des ennemis.