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C’est assez long-temps nous occuper de la forme dans un ouvrage qui, à la rigueur, pourrait ne devoir son succès qu’à la narration la plus simple et la plus naïve. On jugera de la vérité de notre éloge par l’itinéraire de M. Bonneville que nous allons tracer rapidement. Parti le 1er mai 1832 de la frontière du Missouri, le capitaine avait franchi la crête des Montagnes Rocheuses le 24 juillet de la même année. Le 26, après d’excessives souffrances, il atteignait les bords du Colorado. Le 19 septembre, il établissait son camp d’hivernage près des eaux supérieures de la Rivière du Saumon. L’année suivante, au retour de l’été, il continue ses explorations dans le désert, en se dirigeant vers le fleuve de la Longue-Corne et le pays des Corbeaux. L’hiver le retrouve campé à un endroit appelé Port-Neuf. Mais il ne peut supporter long-temps le repos ; il rêve une expédition de reconnaissance, vaste et périlleuse. Il s’agit de pénétrer jusqu’aux établissemens de la baie d’Hudson, sur les rives de la Colombie. Le plan du capitaine est d’établir, sur un point quelconque de la partie inférieure de la rivière, un poste commercial dont la création puisse un jour compenser, pour les États-Unis, les pertes résultées de la prise d’Astoria, depuis 1814. Cette expédition l’oblige à traverser les Montagnes Bleues, théâtre des désastres de plusieurs bandes astoriennes, dirigées par MM. Hunt et Crooks, qui les premiers, explorèrent ces défilés. M. Bonneville n’est retenu ni par d’effrayans souvenirs, ni par les rigueurs de la saison. Il ne prend avec lui que trois hommes et cinq chevaux. De nombreux obstacles, des souffrances de toute espèce, ébranlent plus d’une fois le courage du capitaine, pendant cette périlleuse excursion ; mais son opiniâtre volonté reprend bientôt le dessus. Il arrive à la baie d’Hudson le 4 mars 1834. Le 12 mai, il est revenu au Port-Neuf. Le 3 juillet, à la tête de vingt-trois hommes, il se rend de nouveau à l’embouchure de la Colombie, où il espère ouvrir avec les indigènes des relations commerciales. Mais l’influence hostile de la compagnie anglaise de la baie d’Hudson rend impuissans tous les efforts du capitaine pour ouvrir un commerce avec les Indiens. M. Bonneville retourne à regret sur ses pas, et il se trouve en automne au rendez-vous général qu’il a donné à ses compagnons sur les bords de la Rivière de l’Ours. Après un hiver passé dans l’abondance, le capitaine reprend sa route vers les États-Unis. Le 22 août 1835, M. Bonneville et sa caravane arrivent à la frontière, après trois années de courses dans les steppes et les montagnes. « Là, s’il faut l’en croire, dit M. Irving, on eût pu prendre sa cavalcade pour une procession d’Indiens déguenillés, car ses hommes étaient presque nus, et trois années de séjour dans le désert leur avaient donné l’aspect le plus sauvage. »

Ce livre a tout l’intérêt des romans de Cooper, il a de plus que ces romans la réalité. S’il faut en croire un voyageur allemand dont l’ouvrage a plus d’un rapport avec celui du capitaine (Transatlantische Skizzen, Zurich, 1825), les trappeurs et les Indiens de Cooper sont des types fantastiques qui n’ont jamais existé que dans l’imagination du romancier. Les voyages de M. Bonneville nous montrent le véritable trappeur dans toute sa fierté indépendante, et aussi, nous devons le dire, dans son implacable férocité. Pour ces natures indomptables, la liberté des États-Unis est encore une contrainte. Il leur faut le désert, la vie du chasseur, l’indépendance de l’Indien, la nature sauvage et sans bornes. Nous citerons à ce propos un épisode remarquable des voyages du capitaine ; c’est l’excursion de quarante