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DES ÉTUDES HISTORIQUES DANS LE NORD.

regardés comme authentiques. Malgré ses inexactitudes, il restera à tout jamais illustre dans les annales de Danemark. Il a conservé à sa nation des documens précieux, des chants de scaldes qui, sans lui, seraient peut-être perdus. Une moitié de son livre est une épopée très animée et très dramatique de l’époque païenne ; l’autre sert de base à l’histoire moderne. Le style de cet ouvrage lui donne encore un charme de plus : c’est un latin pur et élégant qui fait un singulier contraste avec le latin barbare qu’on employait dans ce temps-là. On s’aperçoit, en le lisant, que Saxo connaissait les modèles de l’antiquité. Cependant il est à regretter qu’il n’ait pas écrit son livre en danois ; ce serait aujourd’hui un monument philologique d’un grand prix. Les fragmens de poèmes islandais qu’il a mêlés à son récit, n’auraient pas été altérés par la version danoise, comme ils l’ont été par la version latine. Enfin cet ouvrage eût acquis, en Danemark, une rapide popularité, et peu s’en est fallu qu’il ne tombât dans un éternel oubli. Le peuple ne fit aucune attention à ce livre, écrit dans une langue qu’il ne comprenait pas. Les savans seuls le lurent et en firent des copies, mais des copies peu nombreuses. On sait qu’au XVIe siècle, il n’existait plus, en Danemark, qu’un seul exemplaire de Saxo. L’archevêque de Lund le donna à Ch. Petersen, qui l’emporta dans son voyage en France et le fit imprimer, en 1514, à Paris[1]. Au XVe siècle, Thomas Gheymers en faisait des extraits, comme il eût pu faire d’un classique grec ou romain. Mais en 1575 il fut traduit en danois par Vedel ; il l’a été depuis par Grundtrig, et les paysans de la Seelande peuvent lire aujourd’hui ces annales nationales.

Un contemporain de Saxo, Svend Aggesen, plus connu sous le nom de Sveno Aggonis, écrivit aussi une histoire de Danemark. Il était ou secrétaire d’Absalon, ou chanoine à Lund, et il suivit, comme Saxo, l’impulsion que lui donna son évêque. Mais il ne nous a laissé qu’un compendium fort court et fort sec[2], et il s’est lui-même incliné humblement devant l’œuvre de son rival.

En parlant de ces premiers historiens du Nord, je devrais parler aussi d’Are Frode, le savant prêtre islandais, et de Snorre Sturleson, l’auteur de cet admirable ouvrage qu’on appelle Heimskringla. Mais l’ouvrage d’Are, le Laudnamabok, n’est qu’une histoire d’Islande, et celui de Snorre est spécialement consacré à la Norvége.

Il y a un abîme entre le livre de Saxo et ceux de ses successeurs. Pendant l’espace de quatre siècles, la muse de l’histoire s’assoupit en Danemark ; pendant quatre siècles, on ne vit apparaître que des légendes de couvent, des chroniques de moines. Ces hommes, qui employaient un latin corrompu,

  1. Danorum regum heroumque Historia, stilo eleganti a Saxo Grammatico, natione Sielandico, necnon roskildensis ecclesiæ preposito, abhinc supra trecentos annos conscripta. Ascensius, 1514, 199 f. in-fo.
  2. Compendiosa Historia regum Daniœ a Skioldo ad Canutum VI. Publié pour la première fois à Sorœ, 1642.