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LA RÉPUBLIQUE D’ANDORRE.

les merveilles de ce que vous et moi, avec le vulgaire, nous appelons la civilisation. Ces sombres prévisions et ces instincts retardataires sont, à coup sûr, prodigieusement exagérés et déraisonnables. L’unité absolue ne sera jamais réalisée. S’il y a mille forces qui nous poussent vers l’unité et la centralisation, il y en a, en nous et hors de nous, deux mille qui nous tirent dans le sens opposé, et qui, si elles sommeillent aujourd’hui, sauront se réveiller et se faire obéir lorsque besoin sera. La variété infinie qu’offraient jadis et le monde et l’humanité pourra être singulièrement réduite ; mais la limite extrême de la réduction, le point culminant de la centralisation est représenté au moins par le nombre deux et non par le nombre un ; car l’homme est fait de telle sorte, que lorsqu’il y aura deux milliards d’habitans, tout comme au temps où le genre humain se composait de deux personnes, les chemins de fer et l’imprimerie auront beau faire, il y aura nécessairement deux opinions, deux partis, deux coteries, deux bandes, deux cultes, deux mondes. Jamais la paix et l’harmonie absolue ne régneront sur la terre ; qui donc, ayant quelque peu sondé les recoins du cœur humain, pourrait croire à Astrée pour l’avenir ou pour le passé ? L’accord parfait des hommes serait la preuve qu’ils n’ont plus rien à se dire, rien à discuter, rien à entreprendre. Alors la tâche de l’homme, sur la terre, serait terminée ; nous serions à la fin du monde. Le temps serait venu pour une répétition de ces révolutions génésiaques que notre globe a déjà subies cent fois, et près desquelles nos révolutions politiques sont des tempêtes dans un verre d’eau. Le genre humain serait condamné à disparaître comme ont été successivement biffées de la surface du globe je ne sais combien d’espèces d’êtres, pour faire place successivement à d’autres espèces toujours plus perfectionnées et meilleures.

Quoi qu’il en soit, nous admettrons, n’est-ce pas ? qu’aujourd’hui, à l’ombre de la civilisation, l’unité, la centralisation, l’uniformité, le prosaïsme et l’ennui, font, en pratique et en théorie, des progrès alarmans, ou tout au moins excessifs. Ce qui me frappe dans ces montagnes, où la civilisation n’a pas pénétré encore, ce qui m’y enchante, pour quinze jours peut-être, c’est qu’on y trouve, dans les hommes comme dans les choses, de la diversité, du pittoresque, de la poésie. Chaque vallée y est encore un petit monde qui diffère du monde voisin, comme Mercure d’Uranus. Chaque village y est un clan, une manière d’état qui a son patriotisme. Ce sont à chaque pas de nouveaux types, de nouveaux caractères, d’autres opinions, d’autres préjugés, d’autres coutumes. Les villes les plus voisines