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de diplomates avilis ; débris mal famés de l’ancienne cour byzantine, dont les brigues obscures, les intrigues de valets, la politique perfide et criminelle, ont été dévoilées par plus d’un écrivain. Nous ne reviendrons pas sur ces tableaux : le fils trahissant le père, le père supplantant le fils ; l’hospodarat devenu le prix de la bassesse la plus éhontée, du vice le plus vénal. Soumises à ces serviteurs de la Porte, les deux provinces ne furent désormais, pour les sultans, que des fermes à livrer au plus haut enchérisseur. La nomination de l’hospodar fut mise à l’encan ; qu’un acquéreur plus généreux se présentât, le souverain déjà nommé lui cédait la place. Aussi, dès qu’il arrivait dans ses principautés, une seule pensée l’occupait : faire sa fortune et celle de ses acolytes, oiseaux de proie qui le suivaient en foule et s’abattaient sur le pays. Dans la crainte d’être supplanté, il s’épuisait en inventions nouvelles, pour acquitter dans le plus bref délai les énormes dettes que lui avait fait contracter l’hospodarat : il se hâtait de payer ses protecteurs et ses appuis nécessaires, d’acheter les courtisans de la Porte, d’écarter la foule des compétiteurs, de thésauriser pour les jours d’une ruine prévue et infaillible. L’imagination a peine à embrasser, dans son étendue, l’immense système d’extorsions mis en pratique par les Fanariotes de Valachie et de Moldavie.

Toutes les places, sans exception, étaient à l’enchère ; enchère à huis-clos, non que l’on craignît le grand jour, mais pour éviter une adjudication prompte ; on traînait la vente en longueur, on excitait la demande, et l’on faisait hausser l’offre. À peine le fonctionnaire avait-il acheté sa place, il imitait le prince, son vendeur, son maître, son complice ; il essayait de couvrir sa perte, de doubler et de tripler la somme avancée par lui. Les places devinrent le moyen le plus sûr, le plus expéditif, ou plutôt l’unique moyen de fortune. Plus d’agriculture, d’arts, de commerce ; on les abandonne à la dernière roture, qui, privée des fruits de son travail par la rapacité des grands et des riches, ne songe qu’à pourvoir à ses besoins les plus urgens. La nation se partagea dès-lors en deux classes : l’une, composée de malheureux paysans qui payaient et qui travaillaient, l’autre d’officiers prévaricateurs et oisifs. Double dépravation : avilissement et oisiveté ; misère et corruption ; tyrannie et bassesse. Point de classe intermédiaire ; sans arts et sans commerce, la classe intermédiaire ne peut exister.