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sa personne une position incontestable au faîte de la littérature légère, et qui en occupe tous les étages par ses imitateurs ; M. Janin, roi de tous les royaumes qu’on aperçoit de la cime où le succès l’a porté ; M. Janin n’est monté si haut que pour reconnaître que le succès l’avait trompé, et qu’il avait beaucoup à monter encore. Que dis-je ? Cette cime, ne l’appelle-t-il pas lui-même quelque part un trou ? un trou qui lui fournit un sûr abri, à la vérité, et d’où nul ne saurait le débusquer ! Mais qu’importe cela, si sa propre humeur le pousse dehors ; si son horizon y est trop borné, sa vie gênée et trop à l’étroit ; si l’élan de sa pensée y est captif et comprimé ? M. Janin est supérieur à son succès ; car ce succès, bien qu’inoui et dépassant de beaucoup les limites ordinaires, n’est pas encore complet à ses yeux.

Combien de fois l’auteur des jolies nouvelles, des jolis feuilletons, je dis les plus jolis feuilletons qui se soient faits au xixe siècle, n’a-t-il pas senti peser sur ses épaules les chaînes de la faveur publique ! Combien de fois n’a-t-il pas manifesté l’intention de s’affranchir, de changer de route, de se faire homme nouveau, de revenir au travail sérieux, aux compositions sérieuses ! Quel soin ne prend-il pas de mettre en avant ces mots ou d’autres analogues, et de laisser percer le désir qu’il a de les voir désormais faire fidèle compagnie à son nom ! Ne le voit-on pas par là pressentir le jugement public, lui insinuer des habitudes, le pousser, le devancer au point de vue nouveau où il veut l’amener, impatient qu’il est de l’y attendre tout seul, incertain qu’il est de l’y voir arriver de lui-même ? Combien de fois ses feuilletons, ses préfaces, ne nous ont-ils pas annoncé les efforts sourds et intermittens auxquels il se livre pour prendre une position meilleure ! Vous souvient-il du temps où il publiait ses Œuvres complètes, ainsi nommées dans l’intention expresse de fermer le cercle qu’il croyait accompli des gaspillages et des frivolités de sa jeunesse, et d’en faire comme un ballot qu’il jetait derrière lui, légèrement marqué de ridicule, afin d’entrer plus libre et plus dégagé dans une phase nouvelle et virile ? De tout cela il est bien résulté en pratique quelques tentatives dont les traces se retrouvent çà et là, mais qui n’ont pu aboutir à une transformation du caractère primitif de sa physionomie littéraire. Il a dû rester enfant et enfant gâté malgré lui, frivole malgré lui, objet de mode malgré lui. Il a dû rester tel que