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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/489

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damné à rester dans le relatif et le contingent, et dans la sphère des idées sensibles ou des idées qui se ramènent à celles-là ; on peut très bien, par l’observation, s’élever jusqu’à l’absolu, et voici, me dit M. Van Heusde, comment je pose le problème de la philosophie : trouver a posteriori ce qui est en soi-même a priori. À ces mots, je ne pus m’empêcher de l’interrompre, pour lui demander s’il avait lu mes Fragmens philosophiques. — Je ne les connais pas encore. — Eh bien ! si jamais vous les rencontrez, vous y trouverez le programme d’un cours de philosophie professé à Paris en 1818, où je suis tellement de votre avis sur le problème philosophique, en ce qui concerne la méthode, que je l’exprime précisément dans les mêmes termes que vous : trouver a posteriori ce qui est en soi-même a priori. — Quoi ! dans ces mêmes termes ! — Dans ceux-là mêmes, ni plus ni moins ; la même pensée nous a dicté le même langage[1]. » Le bon M. Van Heusde avait d’abord un peu de peine à croire à cette parfaite identité de formules entre nous ; mais mon propre étonnement ayant dissipé ses doutes, il me prit en gré dès ce moment, et me traita avec autant de confiance que si nous nous fussions connus depuis dix ans. « En ce cas, me disait-il, nous sommes frères en philosophie. » Toutefois, avec le respect que je dois à mon aîné, oserai-je dire qu’au moins d’après nos conversations je ne suis pas très sûr que M. Van Heusde arrive en philosophie à des résultats bien déterminés. Il m’a dit que la philosophie n’est en elle-même ni une science ni un art, mais le lien commun des arts et des sciences ; elle se mêle à tout ; il faut la suivre et la transporter en toutes choses ; mais pour en faire un système propre et indépendant, cela n’est pas possible ; et telle est, selon le philosophe d’Utrecht, la pensée de Socrate et de Platon. Selon moi, cela est plus vrai du premier que du second, dont la théorie des Idées est un système, ou bien il n’y a plus de système au monde. Les idées se mêlent à tout, et elles sont dans tout ; mais on peut aussi les considérer en elles-mêmes, dans leurs rapports et dans leur hiérarchie ; et cette indépendance et en même temps cette hiérarchie est la philosophie de Platon proprement dite. Après tout, quand M. Van Heusde n’irait pas aussi loin qu’on peut aller dans la philosophie spéculative, il est au moins dans la

  1. Fragmens philosophiques, 2e édit., p. 286.