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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

tinguant soigneusement le vrai tendre ou sublime de l’affectation et de l’ampoulé. Je suis convaincu que je dois à cette habitude beaucoup de mon habileté de critique, telle qu’elle est.

« Dans ma dix-septième année, pour me dégourdir un peu, j’allai à une école de danse de campagne. Mon père avait une antipathie inconcevable contre ces réunions, et c’est contrairement à ses désirs que j’y allais, ce dont je me repens encore aujourd’hui. Mon père, je l’ai déjà dit, était sujet à de grands emportemens : depuis cette désobéissance, il me prit en une sorte de grippe ; ce qui, je crois, fut une des causes de la dissipation de mes années subséquentes. — Je dis dissipation, comparativement à la sobriété et à la stricte régularité de vie des presbytériens de campagne ; car, bien que les feux follets d’une capricieuse insouciance fussent les seules lumières de mon sentier, néanmoins mes premiers principes de piété et de vertu me tinrent quelques années plus tard dans la ligne de l’innocence. Le grand malheur de ma vie, ce fut de manquer de but. J’avais senti de bonne heure quelques mouvemens d’ambition ; mais c’étaient les aveugles tâtonnemens du cyclope d’Homère autour des murs de sa caverne. Je vis que la situation de mon père m’imposait un travail continuel. Les deux seules portes par où je pusse entrer au temple de la Fortune, étaient une mesquine économie, ou de petits profits chicaniers. La première, l’ouverture en est si resserrée, que je ne pus jamais m’y introduire. — L’autre, je l’ai toujours haïe ; — le seuil même en est souillé. Ainsi dénué de but dans la vie, avec un besoin réel de société, dû autant à une gaieté naturelle qu’à un esprit observateur ; avec un tempérament mélancolique ou hypocondriaque, qui me faisait fuir la solitude ; ajoutez-y ma réputation de science littéraire, un certain talent de logique sauvage, et une force de pensée qui se rapprochait assez du bon sens, et il ne paraîtra pas surprenant que je fusse généralement bien venu chez les gens auxquels je rendais visite ; et ce n’est pas une merveille non plus, si lorsque deux ou trois personnes se réunissaient, j’étais toujours du nombre.

« Mais, avant tout, je me sentais un penchant pour l’adorable moitié du genre humain. Mon cœur était fort inflammable, et s’allumait continuellement à telle ou telle déesse ; et, comme dans toutes les guerres de ce monde, ma fortune avait ses caprices, tantôt