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MADAME DE PONTIVY.

donc heureux sans que le monde les soupçonnât et les troublât. Pas de jalousie entre eux, nulle vanité ; elle, toute flamme ; lui, toute certitude et quiétude. L’histoire des heureux est courte. Ainsi se passèrent des années.

Il arriva pourtant que le désaccord de la situation et des caractères se fit sentir. Mme de Pontivy ne voyait que la passion. Pourvu que cette passion régnât et eût son jour, son heure, ou même seulement un mot à la dérobée et un regard, les sacrifices, les absences et les contraintes ne lui coûtaient pas : elle l’estimait de valeur unique qu’on ne pouvait assez payer. M. de Murçay, qui pensait de même, souffrait pourtant à la longue de ces heures vides ou envahies par les petitesses. Esprit libre, éclairé, il avait fini par se révolter de cette fabrique d’intrigues molinistes dont la maison de Mme de Noyon devenait le foyer de plus en plus animé. Il en avait ri autrefois, il s’en irritait désormais ; car il lui fallait adorer Mme de Pontivy dans ce cadre, et l’en séparer sans cesse par la pensée. Son esprit si juste allait par momens jusqu’à l’exagération sur ce point, et quand il se la représentait, elle, sa chère idole, comme au milieu d’un arsenal et d’une fournaise théologique, et qu’il lui recommandait de ne pas s’y fausser les yeux, elle n’avait qu’un mot à dire pour lui montrer qu’il se grossissait un peu le fantôme, et qu’il oubliait les Du Deffand, les Caylus et les Parabère (sans compter lui-même), qui apportaient parfois à cette monotonie de bulles et de conciles un assez agréable rafraîchissement. Son monde à lui, en effet, selon ses goûts, aurait été plutôt celui dont elle citait là les noms, ou encore le monde de Mme de Lambert et de M. de Fontenelle. Il penchait assez décidément pour les modernes, et s’il avait fallu placer Mme de Pontivy au milieu de quelque querelle, il aurait mieux aimé qu’elle fût dans celle-ci que dans l’autre.

Une lettre encore de l’époux arrivait à de certains intervalles, et ramenait, au sein de leur certitude habituelle, une crainte, un point noir à l’horizon, que Mme de Pontivy écartait vite de sa passion, comme un soleil d’été repousse les brouillards, mais que lui, moins ardent quoique aussi sensible, ne perdait jamais entièrement de vue. Par une délicatesse rare, autant il avait été question entre eux, au début, de cet époux, leur matière ordinaire, autant, depuis l’amour avoué, il n’en était jamais fait men-