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chitecture, la poésie chevaleresque et la chevalerie elle-même. L’antipathie des écrivains du dernier siècle pour le christianisme a contribué à cette exagération ; Voltaire et Gibbon étaient charmés que les peuples chrétiens dussent tout aux musulmans. J’aurai plus tard l’occasion de débattre cette question dans toute son étendue ; aujourd’hui je me borne à rechercher quelles ont été les influences arabes sur la chevalerie, à les reconnaître et à les limiter.

J’ai déjà dit que chez les Arabes, même avant Mahomet, on pouvait surprendre quelques tendances chevaleresques, là comme dans beaucoup d’autres pays et dans beaucoup d’autres temps, là peut être d’une manière plus frappante qu’ailleurs. J’ai cité le roman d’Antar rédigé peu après l’hégire, mais d’après des traditions plus anciennes que l’hégire, et présentant un tableau altéré des anciennes mœurs du désert ; j’ai dit que, dans tout l’ensemble de la vie d’Antar, dans ses sentimens et dans ses exploits, il y avait quelque chose de chevaleresque, mais cette chevalerie est encore bien rude, et l’on sent le Bédouin à côté du preux. Ainsi l’héroïne, la belle Ibla, demande à Antar que le jour de ses noces une amazone célèbre tienne la bride de son cheval, et que la tête d’un fameux guerrier soit suspendue au cou de cette femme ; cela est bien farouche et rappelle presque ces Abungs de Sumatra qui font la cour aux jeunes filles en déposant des crânes à leurs pieds. Il faut convenir que d’autres passages plus chevaleresques se font remarquer dans le roman d’Antar ; mais, malgré les analogies que ces passages peuvent offrir avec les romans de l’Occident, il me paraît impossible de voir dans Antar et dans les mœurs arabes primitives la source de la chevalerie européenne, et sur ce point je ne puis être d’accord avec le spirituel auteur de quelques articles publiés dans la Revue Française de 1830, M. Delécluse, qui, entraîné par l’intérêt que lui inspirait un ouvrage dont il révélait l’existence à la généralité des lecteurs, a été jusqu’à voir dans cet ouvrage « l’arsenal où les Occidentaux ont puisé toute la chevalerie d’alors. » Outre les raisons qui m’empêchent d’admettre que la chevalerie chrétienne et occidentale ait eu une autre origine que le christianisme et l’Occident, il me semble impossible qu’un livre probablement ignoré au moyen-âge, que les scènes de la vie arabe primitive qu’il représente et que l’Occident n’a guère pu connaître, aient enseigné la chevalerie à l’Europe. Ce n’est qu’après que l’islamisme a été introduit chez les Arabes que cette nation s’est trouvée en contact avec les nations européennes. Tout ce que la chevalerie orientale a pu exercer d’influence sur la chevalerie de l’Occident ap-