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mort ; sur les bords, sur les collines, sur les cimes les plus proches de l’Apennin, une multitude rangée en amphithéâtre ; — plus près du lac, Claude avec l’habit de guerre des consuls, Agrippine en chlamyde d’or ; — au milieu des eaux, un triton d’argent qui sonna de sa conque et donna le signal du combat ; et alors un cri s’éleva de cette double flotte : « Salut, César ; ceux qui vont mourir te saluent ! »

César et le peuple voulaient avoir le spectacle d’un combat naval, et ils se le donnaient, comme tous leurs spectacles, grandiose, cruel, sanglant. Mais avec Claude il n’était rien de si terrible ni de si grand où le grotesque ne se mêlât. Embarrassé comme ce grand prévôt qui portait au maréchal de Biron son arrêt de mort, et le trouvant dans une exaltation furieuse, ne sut lui dire que « je vous donne le bonjour ; » à ce salut funèbre il répondit : « Je vous salue, » ou, pour mieux dire encore : « Portez-vous bien. » Et là-dessus les voilà qui soutiennent que César leur a fait grace, qui ont la mauvaise façon de ne pas vouloir mourir. Celui-ci s’irrite, parle de les brûler, de les tuer tous, s’élance de sa place, court autour du lac avec ses jambes titubantes et avinées, menace, exhorte, les décide enfin. De ce combat entre gens au désespoir, emprisonnés dans une enceinte de balistes et de catapultes, armés, mais seulement les uns contre les autres ; de ce combat qui nous eût laissé à nous une émotion effroyable, les anciens parlent à peine. Ces criminels, dit Tacite, combattirent néanmoins en gens de cœur ; et après de nombreuses blessures, ce qui demeura reçut sa grace. Alors on ouvrit au lac les portes du canal ; mais le canal n’était pas assez profond, le lac resta immobile. Nouveau travail, nouvelle attente, nouvelle fête ; cette fois le lac, couvert de ponts, servira d’arène aux gladiateurs. La table est prête, et Claude, du haut des magnificences de son festin, va voir sous ses pieds le lac entrer dans son nouveau lit. Mais le lac s’irrite ; les digues trop faibles cèdent devant lui, il roule en bruissant vers le festin impérial ; la table est abandonnée, César tremble, les courtisans fuient. Narcisse a conduit les travaux ; Agrippine accuse Narcisse, Narcisse insulte Agrippine. Tous ces travaux restèrent sans fruit, et malgré les empereurs que tracassait cette masse d’eau inutile, malgré Adrien, qui essaya de la dessécher et fit pour la conduire à Rome un canal dont les restes se voient encore, le Fucin sommeille paisiblement dans son lit.

Nous voici à la censure de Claude, et elle m’avertit que je vous dois quelques mots sur la constitution de l’ancienne Rome.

Rome était une cité primitive, sacerdotale, aristocratique, où toute chose et tout homme étaient classés. On retrouvait là, après des siècles,