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LES CÉSARS.

trace de la première formation des peuples ; c était un terrain primordial dont les élémens n’avaient pas été troublés dans leur ordre. Après la nation juive, chez laquelle toute chose apparaît en son germe, il n’en est pas qui en dise plus sur l’origine des sociétés que la nation romaine. Dans l’histoire hébraïque, nous voyons, degré par degré, se former une nation, depuis le jour où elle se compose d’un seul homme jusqu’à celui où elle en compte plusieurs millions, la famille s’agrandir en peuple, la distinction des tribus s’établir, et la nation passer par toutes les phases de sa croissance et de sa civilisation. À Rome, si l’histoire ne nous montre pas ces développemens successifs, elle nous en montre la trace ; ce sont des couches superposées qui nous donnent à comprendre les révolutions du sol ; et ces grands traits de la constitution des anciens peuples, qui sont à peu près identiques partout, sont restés gravés sur le bronze du Forum en caractères plus profonds et plus évidens qu’ailleurs.

À Rome, comme partout, les familles, en s’agrégeant, ont formé de petites sociétés qui, à leur tour, en ont formé de plus grandes ; plusieurs familles composent la gens, plusieurs gentes composent la tribu. La famille, le premier nœud de cet ensemble, est un nœud étroit, rigoureux, fortement serré, dont dépend tout le reste ; ce n’est point la douceur de la famille moderne, telle que nous la voyons dans des sociétés dont la base est toute différente : la femme, les enfans, les esclaves, sont sur la même ligne ; tous appartiennent au père de famille, ils sont sa chose, il en peut disposer, il les peut vendre, ils sont à lui corps et biens.

La gens est l’union des familles entre lesquelles il y a une origine commune : ce sont déjà des liens plus attachans et plus doux ; dans la gens sont les parens (agnati), égaux en dignité et en droit ; dans la gens sont encore les membres des familles inférieures, les vassaux (clientes). Vico a très bien remarqué cette féodalité romaine, cette recommandation (c’est le mot du droit féodal) du faible au puissant, du vassal au souverain, cette réciprocité de protection et de services, origine de la féodalité du moyen-âge comme de toute féodalité ; car, on le sait, tous les peuples, grecs, hébreux, germains, scandinaves, ont passé à un certain âge par la crise féodale.

La gens contient enfin les affranchis ; ce sont tous ceux, fils ou esclaves, sur lesquels le père de famille a renoncé à son droit absolu, en émancipant le fils, en donnant à l’esclave le petit soufflet, signe de liberté. Dès ce jour, tous les rapports sont changés : le père de famille était un propriétaire, le patron n’est plus qu’un suzerain ; il ne peut