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ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

en traitant avec de nombreux développemens de l’âge et des mœurs du gibier, n’a pas réussi à contenter les chasseurs de profession qui, sans doute, lui reprocheront plus d’une lacune, et j’ai l’assurance qu’il n’a pas acquis un disciple à l’art savant de la vénerie. Plus d’un lecteur ignorant verra dans cette érudition empressée le symptôme d’une étude récente, et se demandera si l’auteur n’a pas fait un extrait de ses lectures pour graver dans sa mémoire les préceptes qu’il n’avait pas eu l’occasion de pratiquer. Nous serons plus généreux ou plus crédule, mais nous avouerons franchement que l’érudition de M. Sue n’a réussi ni à nous instruire, ni à nous amuser.

Le duel de Latréaumont et du marquis de Châteauvillain, dans le cabaret des Trois Cuillers, donne lieu a des remarques semblables. L’auteur, en racontant les chances diverses du combat, oublie qu’il ne parle pas devant les élèves d’une salle d’armes ; il décrit les coups de tierce et de quarte, les engagemens d’épée, les demi-cercles, les temps de prime et de seconde, avec une précision très louable assurément, mais parfaitement inutile. Ce reproche n’est pas le seul que je doive adresser au duel de Latréaumont et de Châteauvillain. Lors même en effet, que l’auteur, docile aux lois du goût, se fût abstenu de prodiguer les termes techniques dans le récit de ce combat, le lecteur aurait encore le droit de demander à M. Sue à quoi sert ce duel. Si querelleur que soit Latréaumont, il n’est guère probable qu’il aille jouer sa vie pour lire trois lignes de la Gazette de Hollande. Au moment de partager avec Louis de Rohan l’or promis aux conjurés, quand il touche au but de ses vœux, ira-t-il au devant d’un coup d’épée pour lire avant personne, les trois lignes qu’il attend ? Cette gazette, qui joue un si grand rôle dans le roman de M. Sue, pouvait très bien arriver entre les mains de Latréaumont sans coûter une goutte de sang ; d’ailleurs, en la demandant pour la vingtième fois, le chef de la conspiration commet une imprudence inexplicable. Il excite l’attention, tandis qu’il devrait éviter tout ce qui peut appeler les regards sur lui.

Je ne saurais non plus accepter comme un personnage utile le convive de Latréaumont, l’avocat Nazelles, dont j’ai négligé de parler jusqu’ici, parce qu’en effet cette figure joue, dans l’action, le rôle de la mouche du coche. M. Sue me répondra que Nazelles dénonce Latréaumont et Louis de Rohan ; mais cette réponse est loin de me satisfaire, car la police de Louis XIV suffit amplement à découvrir le complot. D’ailleurs, les motifs qui décident Nazelles à trahir le secret de Latréaumont ne conviennent qu’au mélodrame. Nazelles, en