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effet, s’est mis en pension dans l’école de Van den Enden pour faire plus librement la cour à Clara, qui supplée son père dans ses leçons. Si Clara consentait à lui céder, il n’écrirait pas à Louvois, il ne lui révèlerait pas le nom des conjurés. S’il parle, c’est pour se venger, c’est pour châtier la résistance dédaigneuse de Clara, c’est qu’il espère l’envelopper dans la ruine de Van den Enden, l’un des conjurés. Dans la pensée de M. Sue, Nazelles est donc un ressort utile, mais l’action pouvait très bien se passer de ce ressort, et l’absence de Nazelles n’eût laissé aucune lacune. Cette ignoble trahison, toutes ces têtes livrées au bourreau pour punir l’orgueilleuse vertu d’une jeune fille, font tache dans le récit, et compliquent tristement la marche de la tragédie.

Puisque M. Sue se propose s’écrire une série de romans historiques empruntés à la France, nous croyons utile de lui dire franchement qu’il s’est trompé en écrivant Latréaumont. La nouvelle série qu’il commence lui impose des conditions qu’il paraît ignorer. Nous sommes loin de lui conseiller l’imitation, car nous ne croyons pas que l’imitation la plus habile, la plus patiente, puisse jamais produire une œuvre vivante, nous ne lui dirons pas de relire Ivanhoé ou les Puritains d’Écosse, car ces modèles si justement admirés du roman historique veulent être étudies, et non copiés. Mais nous appellerons son attention sur le vrai caractère de l’histoire et des personnages historiques. Dès que l’écrivain aborde la biographie d’une nation, dès qu’il cherche dans cette biographie les élémens d’un poème ou d’un roman, il ne peut sans manquer au dessein qu’il a conçu, bannir de la scène la nation à laquelle appartiennent les personnages de son poème ou de son roman. Or, dans Latréaumont, la nation proprement dite ne paraît pas une seule fois Tous les incidens du drame se préparent et s’accomplissent sans que la nation intervienne comme acteur ou comme témoin. Latréaumont n’est donc pas un roman historique ; car toutes les fois que la nation est absente, l’histoire disparaît et fait place à l’anecdote. Il est possible de trouver dans une seule famille le sujet de plusieurs tragédies, mais si la nation ne prend aucune part directe ou indirecte aux malheurs de cette famille, les tragédies ou les romans dont cette famille aura fourni le sujet ne seront pas historiques. Pour encadrer le roman dans l’histoire, quelques rapides lectures ne suffisent pas. Il ne s’agit pas en effet d’accumuler à la hâte, à propos du personnage principal, une masse de documens connus ou inconnus, mais bien de parler de tous les épisodes qui se rattachent au sujet, de tous les acteurs subalternes qui ont hâté ou ralenti la marche de l’ac-