Ce fut alors que, la convention ayant fondé l’Institut national et les écoles centrales, M. Rœderer fut nommé membre de votre classe et professeur d’économie politique. Le premier de ces titres était un hommage rendu à sa science et à ses travaux ; le second était un appel fait à son habile enseignement. Ces honneurs intellectuels étaient les seuls qui convinssent aux désirs, ou pour mieux dire aux dégoûts de M. Rœderer. Il ne voulait plus relever que de sa pensée. Le souvenir du 10 août le détournait des fonctions publiques. Il aimait mieux juger les autres qu’agir lui-même. Ce fut le rôle qu’il prit et qu’il conserva sous le directoire. Il lut des mémoires excellens à l’Institut ; il fit un cours remarquable au Lycée sur l’économie publique ; il rédigea le Journal de Paris, en même temps qu’une revue politique et littéraire, et dit son avis sur toutes choses et son opinion sur tout le monde. Il avait renoncé aux idées absolues de 1789 : l’expérience l’avait corrigé de l’exagération des théories. « La politique, écrivait-il, est un champ qui n’a été parcouru jusqu’à présent qu’en aérostat ; il est temps de mettre pied à terre. » Ses goûts le rattachaient à l’ordre, et ses doctrines l’éloignaient du parti conventionnel qui dominait dans le directoire. Il se livra à une polémique vive, spirituelle, courageuse, qu’il aurait expiée par la déportation au 18 fructidor, si l’un de ses plus illustres collègues à l’Institut et à l’Assemblée constituante, M. de Talleyrand, n’avait pas obtenu sa radiation de la liste fatale où son nom était inscrit avec celui des deux directeurs dissidens, des chefs de la majorité des conseils et de cinquante-quatre journalistes.
M. Rœderer se tut et s’effaça jusqu’au 18 brumaire, dont il fut un des premiers confidens et des principaux coopérateurs. M. de Talleyrand et lui ménagèrent les premières entrevues du directeur Sieyès et du général Bonaparte, et préparèrent, de concert avec eux, le plan, les moyens et les résultats de cette grande entreprise. « Je fus chargé, dit M. Rœderer, de négocier les conditions politiques d’un arrangement entre Bonaparte et Sieyès ; je transmettais de l’un à l’autre leurs vues respectives sur la constitution qui serait établie et sur la position que chacun d’eux y prendrait. »
Après le 18 brumaire et la nomination des consuls provisoires, M. Rœderer continua entre les deux vainqueurs la même mission : mais il ne trouva plus les projets de Bonaparte d’accord avec les idées de Sieyès. Le général Bonaparte admit bien les principaux ressorts de la constitution de Sieyès, en les accommodant toutefois à ses vues, mais il ne voulut pas consentir à être le grand et l’insignifiant électeur universel de France. « Sieyès, Roger Ducos et moi, dit-il à M. Rœ-