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SOCIALISTES MODERNES.

richesses et une plus heureuse combinaison des forces sociales. Ainsi, pour l’esprit et pour le corps, voilà trois affranchissemens successifs, trois affranchissemens parallèles.

Maintenant, si l’on interroge l’humanité sous ce double aspect, il est facile d’entrevoir sa marche vers une moralité nouvelle et un bien-être nouveau. Il semblerait, au premier coup d’œil, qu’une science dont les racines sont dans le cœur même de la réalité, doit moins précéder que suivre la régénération d’une spiritualité vieillie. Mais c’est là, nous le craignons, une des mille erreurs sur lesquelles vivent, depuis long-temps, les écoles de métaphysique pure. Qu’on ne couronne pas la matière, soit ; mais qu’on ne la nie pas. Aujourd’hui, par exemple, l’âme souffre et doute, l’âme s’engourdit, s’abdique presque, déshéritée de la foi naïve de nos pères, elle n’a pas trouvé encore cette foi sérieuse et raisonnée promise à l’avenir. Qui la retient donc, cette ame immortelle ? déserterait-elle ainsi ses destinées ? Non, mais, au moment où, fatiguée d’une longue nuit, elle va battre l’air de ses ailes éperdues, pour voir si la lumière point et de quel côté, le corps, en despote qui veut être obéi, pèse sur ses élans divins et l’enchaîne au service d’une nécessité grossière. Ainsi les misères de la chair engendrent les misères de l’esprit ; ainsi une incrédulité, toute d’inertie, est la compagne du malheur comme la faim est la mère du blasphème. Le plus beau triomphe de la science du bien-être sera ce dernier affranchissement de l’âme ; et c’est en cela que sa mission sera grande, religieuse et sainte. Par une distribution mieux entendue des choses nécessaires, par l’initiation de tous aux loisirs de la richesse, elle répandra sur le sol les semences d’une sociabilité plus féconde, elle rétablira l’équilibre entre les droits de la matière et ceux de l’intelligence, réglera les rapports de cette co-existence et les conditions de cette vie, donnera sa nourriture au corps, sa nourriture à l’esprit, modérera le travail des bras, afin que le travail s’établisse aussi, non pas seulement dans quelques pensées, mais dans toutes les pensées.

Pour ordonner cet avenir, la science du bien-être n’aura guère de nouveaux élémens à créer. Ces élémens existent : la Providence jette à point sur la terre ce qui importe au bonheur de l’homme. Dans quelle autre vue en effet auraient apparu au milieu de nous ces merveilleuses puissances mécaniques dont les facultés nous confondent, souverainetés industrielles dont nous saluions hier l’avénement ? À quoi pourraient-ils servir, ces instrumens admirables, si ce n’est à relever l’homme moral en soulageant l’homme physique ? D’un côté,