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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/28

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REVUE DES DEUX MONDES.

plus de ses idées, le radicalisme le boudait. À peine était-il resté autour de lui quelques-uns de ces hommes sympathiques, doués de la faculté rare qui isole l’individu des circonstances environnantes, et lui fait voir quelque chose au-delà du présent. Ces prosélytes suffisaient aux développemens du système de M. Owen sur le sol anglais. Quant à lui, ne pouvant se résigner à la perspective d’une réalisation précaire et lente, il aima mieux changer de théâtre, et demander à un pays vierge ce que la vieille Europe lui refusait. Il lui fallait un terrain où il pût marcher dans sa voie, sans se trouver embarrassé par les ronces du privilége, où son action fût plus libre, son horizon plus étendu, sa voix mieux comprise. Il songea à l’Amérique.

ESSAI DE NEW-HARMONY.

Aux États-Unis, dans le district d’Indiana, et sur les bords heureux de la Wabash, vivait une colonie d’Harmoniens, secte austère et pieuse, gouvernée par un fanatique Allemand, nommé Rapp, et maintenue par son seul ascendant sous la règle d’une communauté presque monacale. C’est au milieu d’elle que parut M. Owen, en 1824. Le territoire lui convenait ; les constructions déjà faites se prêtaient à la réalisation de ses vues ; il traita, et acquit une bourgade pouvant loger deux mille ames, New-Harmony, et trente mille acres de terrain dont une bonne partie en rapport. Quand cet achat eut été effectué, M. Owen se rendit à Washington, s’y aboucha avec le président, et obtint la faculté de pouvoir développer ses vues devant le congrès de l’Union. Une séance fut prise, et le nouveau propriétaire de New-Harmony s’y exprima avec la franchise et la liberté qui lui étaient habituelles, sans que l’assemblée parût témoigner autre chose qu’une attention et une curiosité soutenues. L’Amérique avait sans doute, comme l’Europe, ses scrupules religieux et ses préjugés politiques, mais on y professait du moins le respect de toutes les opinions consciencieuses. Au dehors le succès de M. Owen fut plus grand encore, car il devait voir accourir à lui les ames enthousiastes et mobiles, les existences déclassées et suspectes qui s’agitent toujours à l’entour de la nouveauté.

New-Harmony ayant été ouvert, une foule immense se pressa à ses portes, en exprimant le désir de faire partie de la colonie nouvelle. Dans cette multitude fort mêlée, on comptait bien, çà et là, et par exception, quelques hommes distingués ; mais le reste se composait du rebut de la société américaine, de pauvres ou de fainéans,