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REVUE. — CHRONIQUE.

verser ensemble, un texte pour donner carrière à ses répugnances et à ses petites passions, un moyen de se grouper selon les sympathies du moment ! M. Guizot, qui n’avait pu abandonner ses croyances en la restauration et se rapprocher de la révolution de 1830, qu’en se créant une théorie pour satisfaire son ardeur de principes ; M. Guizot, qui ne s’était rattaché à ce régime qu’en l’élevant au rang de quasi-légitimité, lui à qui il fallait en quelque sorte une révélation politique et qui se l’était donnée ; M. Guizot, qui voulait élever un mur entre les mauvaises passions de la révolution et les saines doctrines, admet tranquillement aujourd’hui que les plus décidés ont au fond du cœur peu d’envie d’être mis à l’épreuve et appelés à répondre de la pratique de leurs discours ! Et ce n’est pas à ses adversaires, à ses ennemis, que M. Guizot applique de telles paroles ! C’est à ses amis, à ses adeptes, à ses alliés actuels ! Ce n’est ni de M. Molé, ni de M. de Montalivet, c’est, et M. Guizot les nomme, c’est de lui-même, de M. Guizot, de M. de Broglie, de M. Barrot, de M. Thiers et de M. Villemain qu’il est question !

Ne nous arrêtons pas à cet étrange accouplement de noms où figure celui de M. Villemain, qu’on ne s’attendait guère à voir en cette affaire. Cherchons seulement la cause de cette abolition générale des consciences politiques, et voyons dans quel dessein, favorable pour eux et pour lui-même, M. Guizot a traité tous ces hommes éminens d’une façon si peu flatteuse. Et il ne faut pas s’y tromper, les paroles de M. Guizot vont loin. Personne ne sait mieux que lui, qu’aux termes de l’école, un principe posé, il est permis d’en déduire toutes les conséquences. Or, ce que dit M. Guizot de la question d’Espagne et de la réforme électorale, on peut le dire d’autres questions moins importantes, et il serait même permis de prêter à M. Guizot cette pensée, que M. Thiers ne tient pas à la conservation de l’amortissement qu’il annonce vouloir défendre ; que M. Barrot ne tient pas à l’abolir, comme il en a exprimé souvent le vœu ; que M. Duchâtel serait bien fâché qu’on le prît au mot sur son projet de conversion, lui qui a combattu si long-temps la conversion ; enfin, que personne ne se soucie d’être appelé, en rien, à répondre de la pratique de ses discours.

En pâlissant ainsi les opinions les plus diverses, les plus contradictoires, il est évident que M. Guizot a voulu les réunir dans une même teinte bien vague, où il serait impossible de les démêler. C’est un nuage, un manteau, jeté sur la coalition. Là-dessous chacun s’agitera à sa manière, et personne n’y verra rien. Là derrière, M. de Broglie et M. Thiers pourront différer à l’aise sur l’intervention en Espagne, M. Duchâtel et M. Barrot sur les lois de septembre, sur la conversion, sur l’amortissement, sur les chemins de fer par l’état ou par les compagnies, sur les sociétés en commandite ; il n’y aura plus de doctrinaires ni de tiers-parti, ni d’extrême gauche ; il n’y aura plus que des partisans de mesures politiques, qu’ils seraient désolés de voir s’accomplir, et des hommes d’état pénétrés de principes dont l’application actuelle leur semblerait funeste. Après cela, osez donc blâmer le ministère de