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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/642

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REVUE DES DEUX MONDES.

les sentinelles pourraient le remarquer, et découvrir cette communication avec la mer connue de lui seulement et du petit nombre de ses affidés. Orio subit toutes les souffrances de l’attente. Si Naam est tombée dans quelque embûche, si elle n’a pu transmettre son message à Hussein, Ezzelin est sauvé, Soranzo est perdu ! Et si Hussein, en apprenant la blessure qui met Orio hors de combat, allait le trahir, vendre son secret, son honneur et sa vie à la république ! Mais tout à coup Orio voit sa galéace sortir sous toutes voiles de la baie et se diriger vers le sud. Naam a rempli sa mission ! Il ne songe plus à elle. Il retire l’échelle et retourne dans sa chambre ; c’est Naam qui l’y reçoit. La joie du succès donne à Orio les apparences de la passion ; il la presse contre son sein ; il l’interroge avec sollicitude. — Tout sera fait comme tu l’as commandé, dit-elle, mais le vent ne cesse pas de souffler de l’ouest, et Hussein ne répond de rien, si le vent ne change ; car, si la galère le gagne de vitesse, ses caïques ne pourront lui donner la chasse sans s’exposer, en pleine mer, à des rencontres funestes. — Hussein est insensé, répondit Orio avec impatience, il ne connaît pas l’orgueil vénitien. Ezzelin ne fuira pas ; il ira à sa rencontre, il se jettera dans le danger. N’a-t-il pas en tête la sotte chimère de l’honneur ? D’ailleurs le vent tournera au lever du soleil et soufflera jusqu’à midi.

— Maître, il n’y a pas d’apparence, répond Naam.

— Hussein est un poltron, s’écria Orio avec colère.

Ils montent ensemble sur la terrasse du donjon. La galère du comte Ezzelin est déjà sortie de la baie. Elle vogue légère et rapide vers le nord. Mais le soleil sort de la mer et le vent tourne. Il souffle en plein de Venise et va refouler les vagues et les navires sur les écueils de l’archipel ionien. La course d’Ezzelin se ralentit. — Ezzelin ! tu es perdu ! s’écrie Orio dans le transport de sa joie. Naam regarde le front orgueilleux de son maître. Elle se demande si cet homme audacieux ne commande pas aux élémens, et son aveugle dévouement ne connaît plus de bornes.

Oh ! que les heures de cette journée se traînèrent lentement pour Soranzo et pour son esclave fidèle ! Orio avait prévu si exactement le temps nécessaire à la marche de la galère et aux manœuvres des Missolonghis, qu’à l’heure précise indiquée par lui le combat s’engagea. D’abord il ne l’entendit pas, parce qu’Ezzelin n’employa pas le canon contre les caïques. Mais quand les tartanes vinrent l’assaillir, quand il vit qu’il avait à lutter contre deux cents pirates, avec une soixantaine d’hommes, blessés ou fatigués par le combat de la veille,