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L’USCOQUE.

nomènes du repentir et du désespoir ne se produisent pas au dedans, et qu’il ne s’opère pas, dans les entrailles du pécheur le plus endurci en apparence, une expiation terrible dont l’éternelle justice peut se contenter. Quant à moi, je sais que si j’avais commis un crime, je porterais nuit et jour un brasier ardent dans ma poitrine ; mais il me semble que je pourrais le cacher aux hommes, et que je ne croirais pas me réhabiliter à mes propres yeux, en pliant le genou devant des juges et des bourreaux.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’Orio, ne fût-ce que par suite d’une grande irritation nerveuse, comme vous dirait tout simplement notre ami Acrocéronius, était en proie à des crises très rudes. Il s’éveillait la nuit au milieu des flammes ; il entendait les blasphèmes et les plaintes de ses victimes ; il voyait le regard, le dernier regard, doux, mais terrifiant, de Giovanna expirante, et les hurlemens même de son chien au dernier acte de l’incendie étaient restés dans son oreille. Alors des sons inarticulés sortaient de sa poitrine, et les gouttes d’une sueur froide coulaient sur son front. Le poète immortel qui s’est plu à faire de lui l’imposant personnage de Lara, vous a peint ces terribles épilepsies du remords sous des couleurs inimitables ; et si vous voulez vous représenter Soranzo voyant passer devant ses yeux le spectre de Giovanna, relisez les stances qui commencent ainsi :

T’was midnight, — all was slumber ; the lone light
Dimm’d in the lamp, as loth to break the night.
Hark ! there be murmurs heard in Lara’s hall, —
A Sound, — a voice, — a shriek, — a fearful call !
A long, loud shriek…

— Si tu nous récites le poème de Lara, dit Beppa en arrêtant l’inspiration de l’abbé, espères-tu que nous écouterons le reste de ton histoire ?

— Hâtez-vous donc d’oublier Lara, s’écria l’abbé, et daignez accepter dans Orio la laide vérité.

Un an s’était écoulé depuis la mort de Giovanna. Il y avait un grand bal au palais Rezzonico, et voici ce qui se disait dans un groupe élégamment posé dans une embrasure de fenêtre, moitié dans le salon de jeu, moitié sur le balcon.

— Vous voyez bien que la mort de Giovanna Morosini n’a pas tellement bouleversé l’existence d’Orio Soranzo, qu’il ne se sou-