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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

productions du pays. » Reste à savoir si la Russie doit être mise au ban de la civilisation, parce qu’elle met des entraves à cet édifiant commerce.

Sur un signal bien connu des Circassiens, le rivage fut bientôt couvert d’hommes armés : de longues barques très légères vinrent enlever la cargaison pendant que le bâtiment se mettait à l’abri dans une petite rivière ombragée de beaux arbres, où il ne pouvait être vu des croiseurs russes. M. Spencer, revêtu d’un costume circassien, ce qu’il savait devoir plaire aux habitans, se rendit avec le capitaine à l’habitation du chef du district, accompagné dans sa marche de plusieurs centaines de curieux armés jusqu’aux dents. « Leurs manières, dit-il, n’étaient nullement celles d’un peuple de flibustiers, car ils nous montraient en toute occasion la déférence la plus courtoise, je puis même dire, la politesse la plus aimable. Le fait est que les habitans de cette partie du Caucase ayant été, par suite de la jalousie des Turcs et de leurs guerres continuelles, privés pendant des siècles de toute communication avec les nations civilisées de l’Europe, et spécialement avec leurs anciens amis les Génois, présentent aujourd’hui le singulier spectacle d’un peuple qui a conservé une grande partie des mœurs et des manières chevaleresques des guerriers du moyen-âge, unies à celles de l’Orient et à leur simplicité de montagnards.

« C’était en vain que je cherchais dans la foule l’œil de quelque chef, de quelque supérieur dont la présence tînt en respect les fiers guerriers qui m’entouraient ; je n’en pouvais découvrir aucun. Tous semblaient de la même famille, du même rang ; et cependant, si l’on excepte leur joie tumultueuse, leur cri de guerre perçant et leurs chants belliqueux, il eût été impossible de trouver un ordre plus parfait dans une troupe d’hommes, même parmi les peuples les mieux disciplinés de l’Europe. Je fus frappé tout d’abord de leur air martial, de leurs formes athlétiques, de la régularité de leurs traits, et du fier sentiment de liberté qui se montrait dans chaque regard et dans chaque mouvement. Le cavalier le plus accompli de l’Europe ne se tient pas à cheval avec plus d’aisance et de grace que ces sauvages montagnards, et les nobles animaux qui les portaient étaient d’une perfection de formes que je n’ai jamais vue égalée qu’en Angleterre. Tout cela s’accordait mal avec la pauvreté de leur habillement ; mais, qu’ils fussent vêtus de toile, de laine grossière ou même de peaux de mouton, j’étais toujours obligé d’admirer la forme de leurs vêtemens, et de reconnaître qu’ils étaient admirablement propres à faire