cence, toutes ces petites villes ont leur langue et leurs poètes. Le fanfaronnisme napolitain, la niaiserie milanaise, la folie vénitienne, la vivacité grivoise du Bolonais, respirent dans la poésie des patois ; là l’époque est vivante avec ses nobles, ses moines et sa canaille ; là les mœurs italiennes se résument dans des caricatures inimitables. La prose même du patois, dans Biffi et Cortesi, souple, riche, spontanée, saisit les moindres nuances de la pensée, et reproduit cette lucidité pittoresque de Boccace et de Saccheti, à jamais perdue pour la langue italienne. Ce n’est pas au hasard que les patois acquièrent un si grand développement. Remontez au-delà du XVIe siècle ; tous les Italiens sont entraînés par la langue italienne ; après le XVIe siècle, ils se trouvent entre deux langues : l’italienne qui exprime la vieille civilisation des seigneuries, et la municipale qui représente des idées bornées, mais vivantes, et ils choisissent la langue de leurs idées, la langue vivante. Dans le patois, leur génie est à son aise, libre, railleur sans pédanterie, élégant sans artifice ; dès qu’ils touchent à la langue italienne, ils sont gênés, fardés comme s’ils écrivaient en latin ou en grec. Voyez Cecco da Varlungo ; il est célèbre par une élégie qu’il écrivit dans le patois de Florence : ses vers italiens sont misérables comme la poésie des écoliers du Marini. Maggi a mêlé dans ses comédies l’italien et le milanais ; aussi passe-t-il toujours de la platitude la plus insupportable à la vivacité d’une poésie pleine de verve et de naïveté. La supériorité du patois sur la langue éclate partout au XVIIe siècle ; dans le genre héroï-comique, le florentin de Lippi l’emporte sur l’italien de Boccalini ; pas un seul écrivain dans la langue italienne qui puisse rivaliser avec Cortese en ce qui regarde le roman ; le théâtre national n’a presque rien à opposer au théâtre de Venise, de Naples, de Milan, de Turin. De là la haine des écrivains de la langue contre les écrivains du patois. Au commencement du XVIIIe siècle, un bon moine s’avisa de dire que le patois de Milan était supérieur à l’italien ; de sa part c’était une simple bizarrerie, mais ce fut le signal d’une explosion de pamphlets, de brochures, de satires, de dissertations entre les écrivains nationaux et les écrivains des municipes. Cette polémique haineuse et bavarde traversa le XVIIIe siècle et se reproduisit de nos jours. Ses derniers champions ont été Porta et Giordani, l’un le meilleur poète du Milanais, et l’autre le plus habile arrangeur de mots de la vieille langue.
Il serait inutile d’avoir rappelé ces misères, si elles n’expliquaient pas l’impuissance de la vieille nationalité devant le municipalisme. Dans ce qui regarde la pensée, cette impuissance est encore plus