Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
108
REVUE DES DEUX MONDES.

grande, elle doit livrer les meilleurs écrivains, ou du moins les plus utiles, à l’influence étrangère. Nous ne voulons parler ni de Mazarin, ni de Montecuccoli, ni d’Alberoni, célèbre émigration précédée par celle de Colomb et des Socins. Nous voulons parler de ceux qui restent dans leur pays ; dès que les problèmes de la civilisation sont posés à l’étranger, les Italiens sont forcés de suivre la science à l’étranger. Fardella se rallie à l’école de Descartes ; G. Leti, le plus spirituel écrivain de l’Italie, suit les idées protestantes de l’Allemagne ; Giannone, qui a écrit la meilleure histoire du royaume de Naples, s’appuie sur les doctrines gallicanes. Les traditions italiennes luttent contre ces importations ; elles considèrent Luther, Descartes, Grotius, comme les trois grands corrupteurs de l’Europe, elles produisent encore quelques grands hommes comme Campanella ; mais toutes les admirations se tournent vers l’étranger ; un article du journal de Trévoux ou de la bibliothèque de Leclerc fait la réputation d’un Italien dans son pays. Au XVIIIe siècle, l’influence étrangère est encore plus grande, ; Beccaria, les Verri, Carli, Galiani, Filangieri, se rattachent à la France, aux encyclopédistes, Denina propose d’écrire en français, c’est-à-dire de dénationaliser l’Italie. Un grand économiste se tient à l’écart, il veut rester absolument Italien, mais il ne comprend pas l’Europe, et son pays ne se soucie pas de lui, car on ne lit pas ses louanges dans les gazettes étrangères.

De cette lutte entre la vieille Italie et l’influence de l’Europe nouvelle, il résulte une alternative bien triste. Deux routes s’ouvrent devant tout homme d’esprit qui naît en Italie. Il lui faut suivre la France, méditer ses écrivains, s’appuyer de la puissance logique de ses masses, de ses partis, ou se barricader contre les idées étrangères, s’enfoncer dans les vieilles traditions de son pays, et s’élever à la hauteur que peuvent atteindre les principes de Machiavel ou de Bruno. En un mot, le grand homme, en Italie, doit être Campanella ou Giannone, Ortes ou Beccaria, voilà deux alternatives tranchées : il faut choisir l’une ou l’autre, sauf à se perdre dans les pâles nuances qui se trouvent entre ces deux extrêmes. L’alternative est triste. Le génie qui se donne à l’étranger, renonce à la logique de sa nationalité, il perd l’appui de ses traditions ; il ne peut pas saisir tous les fils de la tradition étrangère ; le joug de l’imitation lui est imposé d’avance, il doit rester écolier, et ne saurait aspirer qu’au rôle subalterne de développer les conséquences d’un principe. Vous voyez que les idées de Fardella et de Filangieri ne dépassent pas les principes posés par Descartes et Montesquieu : vous voyez surtout que