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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/118

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gore, Solon, Dracon, etc., établir des gouvernemens, des castes, des lois par la seule force de la philosophie. Comment concilier cette influence primitive de la raison avec la spontanéité des premiers âges, avec l’origine toute mécanique, toute providentielle des civilisations ? Cette objection était déjà prévue en partie, car dans le Droit Universel, Hermès, Zoroastre, etc., sont relégués parmi les symboles des anciennes aristocraties. Ici l’interprétation mythique va plus loin, Vico sauve son système en considérant Pythagore comme le symbole des aristocraties perdues dans les révolutions populaires de la grande Grèce ; il dit que Solon, Ésope, Dracon, n’ont jamais existé ou qu’ils ne furent que des hommes politiques, comme Decius et Manlius. On en a fait des philosophes, parce qu’on n’a pas compris la tradition populaire qui admirait leur sagesse politique.

iii. L’existence d’Homère est impossible, irrationnelle, observée au point de vue de l’histoire idéale. Il n’y a pas d’exemple d’une individualité semblable à Homère ; pourquoi ce fait exceptionnel aux origines de la Grèce ? C’est qu’il faut supposer qu’Homère est un symbole, que ses poèmes sont la poésie populaire de toute une nation. Alors on peut comprendre sa grandeur mythique, sa double épopée qui résume plusieurs époques, plusieurs peuples, et qui crée la mythologie sans profaner la religion.

iv. Il restait un dernier problème à soumettre à la science nouvelle¸ c’étaient l’appréciation du moyen-âge et l’avenir de l’Europe. Vico, dès son début, avait déjà comparé Descartes à Crisippe, la réforme aux sectes d’Alexandrie ; dans le Droit universel, il avait conçu les fiefs par le patriciat, les monarchies modernes par les monarchies d’Auguste. Il ne restait qu’à ajouter une dernière méprise, et à mettre sur la même ligne le polythéisme des anciens et le christianisme des modernes. C’est ce que fit Vico avec une intrépidité systématique bien singulière. Le dernier mot de la Science nouvelle achève d’une manière bien triste le parallélisme des anciens et des modernes, en prophétisant à l’Europe la chute de l’empire romain. C’est ainsi que l’histoire idéale se renferme dans un cercle perpétuel, et ne peut se renouveler qu’en retombant dans la barbarie.

Voilà l’histoire de Vico dégagée d’une foule d’idées accessoires sur les langues, les religions, les poésies, les familles primitives, et de tous ces détails capricieux sur les sépultures, les géans, les stemmes, etc., qui donnent une physionomie si bizarre à la Science nouvelle. Vico s’était trouvé entre la révolution de l’Europe moderne et la vieille