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VICO ET SON ÉPOQUE.

nationalité italienne ; d’une part, les débuts du criticisme le conduisaient à faire une science de l’autorité ; de l’autre, les réminiscences nationales égaraient cette science dans le monde ancien. Le problème de Vico était moderne, chrétien, la solution en était classique, païenne ; c’était le droit romain qui lui donnait la science de l’autorité politique, c’était le polythéisme qui lui donnait la science de l’autorité religieuse ; c’était d’après la vieille seigneurie italienne que Vico s’était fait ses idées sur la constitution des nations isolées ; c’était le vieux siècle de Léon X qui le poussait à faire du monde moderne une sorte de commentaire du monde ancien. De là l’ignorance étonnante de Vico. Pas un mot sur les grandes invasions qui se superposèrent aux anciens habitans de l’Europe et modifièrent les anciennes nationalités ; pas un mot ni des papes, ni des croisades, ni des légendes du moyen-âge ; pas un mot non plus de l’industrie, du commerce, des grandes inventions modernes. La découverte de l’imprimerie et celle de l’Amérique ne laissent pas seulement une trace sur le type éternel de l’histoire idéale, ce sont des choses que la réflexion européenne n’avait pas encore analysées au XVIe siècle. Jusque dans les détails de la Science nouvelle, le problème moderne de l’autorité historique heurte les bornes des vieilles idées italiennes. Aussi, après la critique hardie sur Homère et Tite-Live, on voit Vico presque muet devant la Divine comédie de Dante ; après des idées neuves sur la poésie sacrée des mythes, Vico va vous trouver le Latium dans les yeux d’Argus. Combien d’autres choses singulières dans la Science nouvelle ! Par exemple, les géans qui grandissent dans la boue, les premiers mariages qui se font par la peur des orages, la race noire qui provient de l’habitude de se teindre en noir, etc., etc. ! Mais ces théories ne tiennent-elles pas un peu à cette insouciance de la belle terre de Naples, où l’on passe si souvent du sublime au ridicule !… Enfin le style même, bizarre, étrange, de la Science nouvelle tient à la décadence de la nationalité italienne, à l’état de la langue nationale qui laisse primer les patois, et va se détacher de la pensée. Rien de plus aride que la forme de la Science nouvelle, et cependant remarquez bien que Vico était professeur de rhétorique, littérateur, poète ; mais il écrivait mieux le latin que l’italien, et ses vers étaient fort inférieurs à la poésie napolitaine de Capasso.

Ainsi, Vico, produit posthume du siècle de Léon X, échappe à toute classification, il n’y a pas moyen de le comparer aux autres historiens de l’humanité. Quelle différence entre Bossuet si catho-