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dans tous ces apprêts. Pierre remettait sa réponse de jour en jour, et hâtait l’armement de ses vaisseaux. Enfin, le légat exigea une réponse formelle, et Pierre lui fit celle-ci : « Si la chemise que je porte à cette heure savait mon secret, je la brûlerais à l’instant même. » Quand la réponse de Pierre vint au pape, les vaisseaux de la flotte aragonaise cinglaient déjà vers les côtes de Sicile.

Tout était prêt ; mais le jour de l’exécution du complot n’était pas encore fixé, quand une circonstance inattendue fit éclater l’évènement. Le 30 mars 1282, le lundi de Pâques, les habitans de Palerme se portaient en foule, comme c’est la coutume des jours de fête, sur la promenade qui mène à la route de Montréal. C’est un coteau en pente douce, qui commence à l’extrémité du Cassaro, la rue principale de Palerme, et s’élève jusqu’à la magnifique abbaye située à la cime d’une montagne boisée d’orangers, de citronniers, et toute fortifiée, en quelque sorte, d’épais troncs d’opuntii ou figuiers d’Inde, qui forment d’impénétrables remparts. Les femmes et les filles de la ville se promenaient en attendant l’heure de vêpres, chacune couverte du long manteau de soie noire à l’espagnole, qu’elles portent encore, et qui, s’attachant autour de l’épaule droite, enveloppe la taille, et ne laisse voir que le visage. Un édit du gouverneur, publié peu de jours avant, prohibait les armes ; les nobles seuls avaient gardé le droit de porter leur courte épée, suspendue au ceinturon qui serrait les plis de leur mantello. À l’endroit nommé lo Spirito-Santo, où se trouve aujourd’hui le Campo-Santo, près de la barrière du grand édifice moresque qu’on y voit encore, se tenait un groupe de soldats et de bas-officiers français, qui visitaient rudement les manteaux des bourgeois qui passaient, et se permettaient avec les femmes des libertés qui leur étaient ordinaires. Un des Français, nommé Drouet, arrêta une des plus jolies Siciliennes, qui était suivie de son père, don Angelo, et sous prétexte de s’assurer qu’elle ne cachait pas d’armes, il passa ses mains sous le mazzaro noir de la jeune fille, et l’outragea avec tant d’audace, qu’elle poussa des cris perçans et appela ses concitoyens à son secours. Ce fut là le signal et la véritable cloche des vêpres siciliennes. Il était vingt-une heures, selon la manière de compter d’Italie, c’est-à-dire trois heures avant la chute du jour. C’était, en effet, l’heure de vêpres, et le premier son de cloche retentissait encore, quand tous les Français du corps-de-garde de la porte de Montréal étaient déjà étendus à terre, massacrés et assommés par les nobles et les bourgeois de Palerme. En un moment, l’étendard de la révolte fut levé dans toute la ville, et, à la fin du jour, le peu d’An-