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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/423

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ESPRIT DE LA SESSION.

administration que quelques-uns s’obstinent à ne pas reconnaître pour parlementaire. Dans cette nouvelle phase de nos destinées politiques, la prépondérance morale doit appartenir à ceux qui sauront reconnaître et exprimer l’esprit du pays, le servir dans ses instincts et ses besoins, comprendre que la vie constitutionnelle doit avoir en France ses développemens indigènes, et pour ainsi parler, un goût de terroir, sans engouement soit pour l’Angleterre, soit pour l’Amérique.

S’il était parmi nous quelques hommes qui, les yeux toujours fixés sur Westminster et sur Downing-Street, voulussent organiser ici une espèce d’oligarchie parlementaire, qui, prenant tantôt la couleur whig, ou le langage tory, eussent la prétention, malgré la multiplicité de leurs intrigues et de leurs palinodies, d’être toujours révérés comme les véritables docteurs de la loi, et les seuls hommes d’état que la France puisse reconnaître, nous oserions leur annoncer que, si haute que soit l’importance dont ils ont le bonheur de jouir à leurs propres yeux, ils ne parviendraient pas à substituer leur domination au gouvernement du roi et des véritables majorités.

Si une autre minorité, s’obstinant à considérer la monarchie et la liberté comme deux termes incompatibles, croyait la France engagée dans des voies rétrogrades parce qu’elle n’a pas le gouvernement républicain des pays transatlantiques, nous l’engagerions à étudier avec sincérité cette Amérique dont elle rêve ici l’importation, à reconnaître ses plaies, ses infériorités, son enfance, les dangers de son avenir, la pauvreté de son passé, le néant de ses arts, de sa littérature et de sa science. Quelques années de développement constitutionnel nous permettront de nous approprier ce que la législation américaine a sur certains points de sain et d’utile ; mais nous continuerons à avoir de moins l’esclavage et de plus l’unité qui fait la force.

Que ceux donc qui prétendent exercer quelque influence sur le pays sachent en être : les nationalités fortes veulent être servies et honorées pour elles-mêmes, et ne se laissent pas imposer comme des progrès, des imitations qui tendent à les pervertir.