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main des colliers qu’ils voulaient à toute force nous passer au cou, et des bijoux et des colifichets dont ils voulaient remplir nos poches. Toutes ces bagatelles sont travaillées avec les pierres de la baie, avec les péchés des moines. Ces pierres sont de petits fragmens de granit rouge, de serpentine verte, de marbres et de porphyres de couleurs éclatantes, qui, à la marée montante, baignées par les eaux de la mer, brillent d’un vif éclat. Les habitans les font tailler, polir et monter en cachets, en bagues, par des ouvriers écossais, et les vendent comme amulettes aux curieux qui visitent leur île. Les hébridiens ont une grande confiance dans ces pierres qui leur paraissent d’autant plus efficaces, qu’elles sont plus grandes, c’est-à-dire qu’elles représentent de plus gros péchés. Dans les îles voisines, à Coll, à Tirée, à Skye, on fait un singulier usage des amulettes d’Iona ; elles servent de contrepoison et de préservatif à l’envoûtage ou aux enchantemens analogues auxquels les montagnards croient encore de tout leur cœur, quelques efforts que les ministres et les puritains aient pu faire pour déraciner de leur esprit ces ridicules superstitions. Un montagnard nous racontait, par exemple, fort sérieusement que, quand un amant dédaigné ou trompé voulait se venger de son rival plus heureux, il prenait, le jour de sa noce, trois fils de différentes couleurs ; à chacun de ces fils il faisait un nœud, et souhaitait en même temps un malheur à son rival : celui-ci devait nécessairement succomber à l’enchantement, à moins qu’au moment du mariage il ne se rendît à l’autel, le pied gauche déchaussé, et que, tandis que le prêtre prononçait les paroles sacramentelles, il ne plaçât sur ce pied une pierre d’Iona. « Grâce à ces amulettes, on est sûr, ajoutait-il, d’être toujours amant préféré et époux heureux. » Nous fîmes tous nos provisions de pierres d’Iona.

Notre barque était en sûreté ; les insulaires avaient aidé nos hommes à la traîner hors de la portée de la haute mer ; nous prîmes donc le chemin de la ville dont nous voyions fumer les toits à un demi-mille de nous. À mi-chemin, nous trouvâmes une grande croix de granit rouge au pied de laquelle un de nos bateliers se prosterna en priant à haute voix et en se frappant la poitrine avec autant d’ardeur qu’un Italien eût pu le faire ; étonné de son action, j’interrogeai son compagnon : « Mac-Gregor est papiste, nous dit-il ; c’est un des habitans d’Egg, la seule des Hébrides qui, avec Canna, soit restée catholique. La grande île de Rum, dont dépendent Egg et Canna, était également papiste quand le reste de l’Écosse était déjà protestant ; mais, grâce au ciel, ses habitans ont été convertis. — Grâce au ciel, ou plutôt grâce aux coups de bâton, reprit le catholique qui arrivait après avoir achevé ses dévotions. — Comment ! on les a convertis à coups de bâton ? — Oui, monsieur, et comme le bâton dont Mac-Leod, leur laird, se servit, était jaune, on appelait le protestantisme de nos voisins de Rum la religion du bâton jaune. Bien des années s’étaient écoulées depuis la réforme, et les pauvres gens de Rum, grâce aux exhortations de la sœur de Mac-Leod, leur laird, étaient restés bons catholiques. Chaque dimanche, guidés par leur patronne, ils se