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qui respecte chez les autres les droits qu’il veut pouvoir exercer chez lui. La déclamation perd toute sa force devant ce peu de paroles, et une opposition qui se laisse convaincre d’exigences déraisonnables court grand risque de n’être plus écoutée, même quand elle a raison.

Lord Melbourne a été moins explicite à l’égard de Cracovie. Il s’est borné à dire qu’effectivement le ministère avait eu l’intention d’envoyer dans cette ville un agent consulaire, mais qu’il avait reconnu des obstacles à l’exécution de son projet, et qu’il l’avait abandonné. Je crois savoir de quelle nature ont été ces obstacles. On a dû déclarer à l’Angleterre que son agent ne serait pas reçu à Cracovie, et que l’intérêt commercial n’étant évidemment qu’un prétexte, si le gouvernement anglais persistait dans le dessein de nommer un consul à Cracovie, sa nomination serait regardée comme un acte politiquement hostile. Si mes informations sont exactes, cette déclaration a dû être faite au nom des trois puissances protectrices, la Prusse, l’Autriche et la Russie. Une fois la question ainsi engagée, il fallait examiner, ce me semble, si la vaine satisfaction d’avoir un agent officiel à Cracovie ne serait pas achetée trop cher au prix des graves embarras que l’on pouvait s’attirer en persistant à l’y faire reconnaître. Il fallait se demander si, même en cas de succès, la présence de cet agent serait bien utile à la liberté de Cracovie et à ce reste de nationalité polonaise qu’on prétendait y maintenir. Il fallait se dire enfin qu’une aussi éclatante démarche constituait presque l’engagement formel de prendre fait et cause pour Cracovie, à la première violation de son territoire ou du statut constitutionnel qui lui avait été accordé, à moins de reculer lâchement ou de paraître conniver avec ses oppresseurs. Je ne suis certainement pas loin de la vérité en supposant que toutes ces considérations, que ces graves conséquences se sont présentées à l’esprit du ministère anglais, et l’ont déterminé à l’abandon d’un projet dont il n’avait pas pris l’initiative, et qu’il avait trop légèrement adopté sur une motion impolitique faite dans la chambre des communes. Lord Melbourne n’a pas dit et ne pouvait pas dire tout cela ; mais je crois que, s’il avait été forcé de le faire, il aurait facilement justifié dans cette question l’honneur de sa politique et la sagesse de son gouvernement. La politique de l’Angleterre, depuis la révolution de juillet, me paraît avoir le même caractère que celle des grandes puissances du continent. Temporiser et fermer les yeux sur les questions d’un intérêt éloigné, incertain, contestable ; agir avec décision et vigueur sur les questions d’un intérêt immédiat et certain ; concourir ainsi au maintien de la paix générale et conserver de bons rapports avec tous les gouvernemens : tel est, en peu de mots, le système que tous les cabinets mettent en pratique avec autant de persévérance que de succès. Dans l’exécution de ce système, qu’on retrouve à chaque page de l’histoire de ces dernières années, les gouvernemens se sont fait de grandes concessions, et ont toléré, les uns de la part des autres, un grand nombre d’actes qu’on ne saurait expliquer différemment. La question belge, celle d’Orient, celle d’Italie, celle de Pologne, celle de la Péninsule espagnole, sont trop présentes à tous les esprits dans leurs moindres détails, pour que