vous ne me dispensiez pas de vous rappeler les diverses circonstances par lesquelles se trouve complètement justifiée l’opinion que je vous développe ici. Mais je la recommande à votre plus sérieuse attention, si vous voulez bien comprendre la situation actuelle de l’Europe, les dispositions respectives des élémens rivaux qui s’y agitent, les rapports compliqués de toutes les puissances, et les chances de durée que comporte cet état de choses. Permettez-moi encore, pour illustrer ce qui précède, quelques mots sur la manière dont on envisage, en Angleterre, notre conquête d’Alger. J’y suis, d’ailleurs, naturellement ramené par le sujet de cette lettre.
Dans son discours à propos de la pétition de Glasgow, lord Lyndhurst avait parlé aussi d’Alger, comme de Java, de la Vistule et de Cracovie, et il avait accusé lord Palmerston d’avoir déclaré que le gouvernement anglais voyait avec plaisir les progrès de la puissance française en Afrique. Que répondit lord Melbourne ? Non content de rectifier la citation faite par lord Lyndhurst, et de rétablir le véritable texte des paroles prononcées par lord Palmerston, il émit à son tour sa propre opinion ; il fit connaître les sentimens que lui inspirait à lui-même, comme premier ministre d’Angleterre, notre conquête d’Alger. Lord Palmerston avait dit qu’on n’aurait point à nous adresser de représentations au sujet d’Alger, tant que nos armes ne franchiraient pas les limites de l’ancienne régence, tant que nous respecterions à l’ouest l’empire du Maroc, et à l’est le territoire de Tunis. Ce n’était donc qu’une reconnaissance formelle du droit que nous avait donné la prise d’Alger, de nous considérer désormais comme seuls et légitimes souverains de l’ancienne régence, sauf à ne consommer l’occupation que par degrés et selon nos propres convenances. En reconnaissant ce droit à la France, lord Palmerston ne faisait d’ailleurs que suivre l’exemple de la Porte ottomane elle-même, qui, depuis la prise d’Alger, n’a osé, malgré toutes ses protestations, transmettre ouvertement à personne, sur aucun point de l’Algérie, soit à Constantine, soit à Oran, le titre et les pouvoirs du dernier dey. Mais lord Melbourne a fait plus que lord Palmerston ; il a reconnu le droit de la France, et il a dit en même temps que la conquête d’Alger par les armes françaises était un évènement dont l’Angleterre avait lieu de s’affliger ; que personne en Angleterre n’avait pu voir sans inquiétude et sans regrets cet agrandissement de la puissance française sur une vaste étendue de la côte africaine. Et néanmoins, a-t-il ajouté, nous ne pouvons faire que la prise d’Alger n’ait pas eu lieu ; nous ne pouvons empêcher la France d’y consolider son établissement, d’y étendre sa domination ; nous ne pouvons surtout l’empêcher d’y exercer sa souveraineté comme elle l’entend, et d’y mettre en vigueur tels réglemens commerciaux que bon lui semble. Lord Melbourne aurait pu dire ensuite : Il est vrai que maintenant nous prenons nos précautions du côté de Tunis, que nous avons constamment l’œil ouvert sur cette régence, et que nous avons autorisé un officier anglais, le colonel Considine, à entrer au service du prince régnant, pour y diriger l’organisation des troupes, et décon-